Bavaricus — Alma mater : La puissance des symboles à l’Université de Munich

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J’ai un privilège : je suis étudiant en Lettres Classiques à l’UNIVERSITAS LUDOVICO-MAXIMILIANEA MONACENSIS, l’université Louis-Maximilien de Munich (LMU), l’une des universités les plus prestigieuses d’Allemagne.

Fondée en 1472 à Ingolstadt par Louis IX, duc de Bavière-Landshut, elle fut la première université de Bavière et attira très vite de grands professeurs tels que Conrad Celtis, Peter Apian, Johannes Eck et Petrus Canisius. À l’époque de l’Humanisme allemand, elle fut un centre important de la Contre-Réforme Catholique. En 1800, face à la menace que représentaient les armées napoléoniennes, le futur roi Maximilien Ier Joseph la déménagea à Landshut. Deux ans plus tard, l’université prit le nom de son fondateur, Louis IX, et de Maximilien Ier. 24 ans plus tard, en 1826, le roi Louis Ier l’installa à son emplacement actuel à Munich. Malgré les grands dommages que le bâtiment a souffert pendant la Seconde Guerre Mondiale, l’université nous paraît aujourd’hui telle qu’elle a été originellement conçue.

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L’architecture, que l’on doit à Friedrich Gärtner et German Bestelmeyer, regorge d’allusions à la culture antique. Elles témoignent de la position forte que la Bavière, et Munich en particulier, ont toujours attribué aux civilisations anciennes, qui ont profondément marqué l’histoire et la politique bavaroise : ainsi le prince Otto, fils de Louis Ier, devint-il roi de Grèce en 1862. Furent alors installées à Munich un grand nombre de pièces antiques d’importance majeure, que l’on « emprunta » à la Grèce, à l’île d’Égine en particulier, et qui trouvèrent leur nouveau domicile au centre de la ville, sur la Place du Roi, que l’architecte Karl von Fischer conçut d’après le modèle de l’acropole d’Athènes.

Dès l’entrée de l’université, le regard des visiteurs est attiré par une première référence à la culture antique : une petite mosaïque à l’effigie de Diane, la déesse romaine de la chasse, accompagnée de deux cerfs, orne le sol de marbre. Se pose alors la question du rôle que la sœur du noble Apollon joue dans le contexte universitaire et académique. Un indice réside dans l’écriture qui, écrite en pierres noires sur un cartouche blanc, énonce le surnom de la divinité : ΕΦΕΣΙΑ.

Cette courte inscription nous donne la clef de l’énigme, puisqu’elle fait référence à un culte régional de cette divinité. À Éphèse, Artémis fut considérée et vénérée comme déesse de la fertilité qui, à la Renaissance, devint un symbole de la nature en tant que « mère nourricière ». Ainsi ce médaillon fait-il allusion à l’alma mater studiorum, la « mère nourricière des études », un terme qui, depuis la fondation de l’université de Bologne, la plus ancienne d’Europe, en 1088, sert souvent à désigner l’origine académique d’un savant, c’est-à-dire son université d’origine. Personnifiée sous les traits de Diane Ephesia, la LMU est donc honorée au sein de ses propres murs, sur le sol du foyer du bâtiment principal.

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Comme pour éviter de vexer le frère d’Artémis, Apollon, généralement plus étroitement associé au savoir, à la providence, aux beaux arts et au monde universitaire que sa sœur jumelle, on rend hommage à Phébus dans la grande Salle de Réception : le dieu, majestueux dans la personne de son alter ego Hélios, s’avance sur son char de guerre tiré par quatre chevaux célestes à la fourrure blanche, le torse à moitié nu, à moitié enveloppé dans une toge pourpre. Une couronne formée de rayons de lumière bleue entoure son beau visage et les tempes aux cheveux noirs ; il tire derrière son char la roue brillante du soleil doré, qui se découpe dans un ciel bleu étoilé. De sa main droite, Apollon accueille, comme s’il voulait inviter les étudiants qui lui font face à suivre son culte puisque — comme le rappelle l’inscription au dessous de la grande mosaïque, tirée du premier stasimon de l’Antigone de Sophocle — ΑΚΤΙΣ ΑΕΛΙΟΥ ΚΑΛΛΙΣΤΟΝ ΦΑΟΣ[1] : le rayon du soleil est la plus belle des lumières.

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Apollon invite les jeunes gens à se joindre à la recherche du vrai et à s’engager dans l’acquisition du savoir, afin d’atteindre la belle, la vraie lumière, celle de la sagesse dont lui-même et le soleil sont les symboles. Cette interprétation est récurrente : Platon utilise lui aussi l’image de la lumière dans la République, lorsqu’il expose son Allégorie de la Caverne[2] où la libération des chaines de la naïveté, et le chemin vers la lumière du jour signifient le chemin de la réminiscence (lanamnésis) que l’humanité doit parcourir pour parvenir à la compréhension du vrai et du bien, dans le monde des idées. La route qui mène à la sagesse est la philosophie, la méthode est l’autoréflexion à laquelle Socrate, incité par l’oracle de Delphes, exhorte ses interlocuteurs. Celui-là seul qui, avec humilité, reconnaît les limites de ses propres capacités intellectuelles et qui comprend et accepte, comme Socrate, qu’il ne possède pas de savoir total et absolu[3], peut espérer toucher, un jour, à la lumière du vrai : ΓΝΩΘΙ ΣΑΥΤΟΝ (Connais toi-même) telle est la maxime qui se trouvait à l’entrée  du temple d’Apollon à Delphes et qui, en quelque sorte, constitue la base de la philosophie socratique. La signification de cette devise est si profonde que la formule fut également placée au flanc de la Cour de Lumière au centre de la LMU, sur  la grille d’une fenêtre. Dans la même direction vont les inscriptions en mosaïques dorées qui ornent les portes de l’auditorium maximum : celle de gauche, en latin : NE QUID FALSI AUDEAT / NE QUID VERI NON AUDEAT / DICERE SCIENTIA (que la science n’ose dire quelque chose de faux, et qu’elle ne garde le silence sur quelque chose de vrai)[4]. Celle de droite énonce : ΤΗΝ ΘΕΩΡΙΑΝ ΤΟΥ ΠΑΝΤΟΣ / ΠΡΟΤΙΜΗΤΕΟΝ ΤΩΝ ΠΑΝΤΩΝ / ΔΟΚΟΥΝΤΩΝ  ΕΙΝΑΙ  ΧΡΗΣΙΜΩΝ (la science du tout est préférable à ce qui n’est utile qu’en apparence).

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Comme nous l’apprend l’exemple de Socrate, qui use de la maïeutique pour permettre à ses interlocuteurs de prendre conscience de leur ignorance, la recherche du vrai demande une approche stratégique. L'une des grilles des fenêtres qui circonscrivent la Cour de Lumière nous le rappelle : VIS CONSILII EXPERS MOLE RUIT SUA (la force dépourvue de stratégie tombe de son propre poids)[5]. Il va de soi que la divinité de l’esprit stratégique, Athéna, n’est pas en mal d’hommages dans le complexe des bâtiments de la LMU. Toute une partie de l’université lui a été consacrée : la cour qui relie le bâtiment principal, abritant la Cour de Lumière, aux ailes latérales de l’université, porte le nom de son animal fétiche : Cour de la Chouette. Athéna jouit également d’une place importante aux côtés de Hélios-Apollon dans la majestueuse mosaïque qui domine le fond de la Grande Salle de Réception. Représentée avec son casque, sa lance et son bouclier, elle tient dans sa main gauche une petite figure ailée représentant Niké, la déesse de la victoire. Peut-être signifie-t-elle la victoire que l’intelligence remporta sur la Gorgone Méduse, ce dont témoigne l’égide qui orne le cou de la déesse : le mythe veut que de la tête du monstre, vaincu et décapité grâce à une ruse du héros Persée, s'envolât le cheval ailé Pégase.[6] Avant de prendre son envol, l'animal céleste piétine une dernière fois la terre; le sol s'ouvre alors, faisant jaillir la source inspiratrice des Muses[7] et de tous les grands esprits : cette fontaine de l'Hélicon, pourtant, les architectes de mon université pourtant l'ont déménagée à Munich, et les Muses depuis n'y dansent plus (de moins personne ne les y a plus vu danser). À Munich en revanche, au foyer de l'entrée secondaire de la LMU, les étudiants se rafraîchissent désormais avec de l'eau claire et se ressourcent de bonnes idées, encouragés par les paroles qui, inscrites au fond de l'Hippocrène, rappellent le début de la fameuse première Οde Οlympique de Pindare: ΑΡΙΣΤΟΝ ΤΟ ΥΔΩΡ, la meilleure chose est l'eau[8].


Dans la même ode, Pindare soutient que la gloire ne se mérite qu’au prix de la lutte. La recherche du vrai et du bien ne ressemble-t-elle pas à une lutte, elle aussi ? N’est-elle pas un chemin ardu et troublé ? Il n’est donc pas surprenant que German Bestelmeyer, l’architecte de la Grande Salle de Réception, n’ait pu s’empêcher de faire une allusion à l’effort en gravant, sur la balustrade de la galerie opposée à la grande mosaïque, une citation du grand poète Horace : NIL SINE MAGNO VITA LABORE DEDIT MORTALIBUS (la vie n’a rien donné à l’espèce humaine qui ne nécessite de grands efforts)[9]. Cette pensée est soulignée dans la grande mosaïque qui montre, à la droite d’Apollon, le dieu Arès, dieu de la guerre.

Néanmoins, compte tenu du nationalisme qui marquait l’époque de la construction du bâtiment, l’image offre une autre interprétation : avant qu’elle ne soit remplacée, en 1957, par l’actuelle citation, l’une des fenêtres de la Cour de Lumière avait porté la citation d’Horace selon laquelle il est « doux et honorable de mourir pour la patrie » (DULCE ET DECORUM EST  PRO PATRIA MORI)[10]. Après la Seconde Guerre Mondiale et à la suite d’intenses débats sur cette citation, l’université considéra inapproprié de garder cette quasi-exhortation à la guerre et encouragea professeurs, étudiants et citoyens à « proposer une maxime latine ou grecque exprimant un idéal qui mérite que l’on s’investisse pour lui ». Parmi les quelque 200 propositions, ce fut celle de Georg Pfligersdorffer, futur professeur de Lettres Classiques à Salzbourg, qui fut retenue. La devise martiale d’autrefois est devenu pacifiste et fait désormais référence aux martyrs de « La Rose Blanche », groupe de résistance munichois, en proclamant MORTUORUM VIRTUTE TENEMUR (Le courage des morts nous oblige).

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De même, l’ancienne Salle d’Honneur, créée en 1922 en mémoire des morts de la Première Guerre Mondiale, fut changée en 1955 : les plaques rappelant les sacrifices héroïques des soldats allemands furent enlevées et remplacées par une formule plus neutre. Mais avant tout, le cœur du mémorial, le Doryphoros, une magnifique statue en bronze conçue par Georg Römer d’après l’original de Polyclète, fut privé de sa lance pour souligner son caractère désormais pacifiste — ce fut ironiquement l’année du réarmement de l’Allemagne. On arracha en plus la plaque qui ornait le socle de la statue, et empruntait les mots de Plutarque : ΑΜΕΣ ΠΟΚ ΗΜΕΣ ΑΛΚΙΜΟΙ ΝΕΑΝΙΑΙ ΑΜΕΣ ΔΕ Γ ΕΣΣΟΜΕΣΘΑ ΠΟΛΛΩΙ ΚΑΡΡΟΝΕΣ ( jadis nous étions de jeunes hommes florissants de force, mais nous serons encore plus forts un jour)[11].

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Dès 1946, toutefois, la LMU devient un symbole pour la nouvelle époque, qui avait commencé avec la chute du régime nazi. Le 15 juillet, l’Assemblée Constituante Bavaroise se réunit pour la première fois dans la Grande Salle de Réception pour y élaborer, sous les yeux vigilants d’Apollon-Hélios, une nouvelle constitution démocratique pour la Bavière, acceptée le 1er décembre de la même année. Quelques jours plus tard le parlement bavarois s’y rassembla pour la première fois et, un an après, le 4 décembre, l’État Bavarois y fut proclamé, rendant définitive la victoire de la lumière sur les ténèbres effrayantes qui y avaient régné entre 1933 et 1945.

La nation nouvelle qui vit alors jour ne connaît plus de héros-soldats, mais vénère le courage civique de ceux qui s’opposent à la guerre et à l’injustice, et dont les résistants de la Rose Blanche sont le modèle. À l’Université Louis-Maximilian de Munich, hommage leur est rendu sur un tableau dans la galerie de la Cour de Lumière. On y lit, en latin, les paroles suivantes inscrites en pierre: HVMANITATEM AMPLEXI INHVMANA NECE PERIERVNT WILLI GRAF . KVRT HVBER . HANS LIEPELT . CHRISTOPH PROBST . ALEXANDER SCHMORELL . HANS SCHOLL . SOPHIE SCHOLL . ANNIS MCMXLIII ET MCMXLV . SIC VERVS ILLE ANIMVS ET IN ALIENVM NON VENTVRVS ARBITRIUM PROBATVR (Sénèque, 13e Lettre à Lucilius)

Parce qu’ils embrassaient l’humanité, moururent d’une mort inhumaine Willi Graf, Kurt Huber, Hans Liepelt, Christoph Probst, Alexander Schmorell, Hans Scholl, Sophie Scholl. 1943-1945. Ainsi ce vrai courage qui ne se soumettra pas à l’arbitraire/ à la discrétion d’autrui, passe à l’épreuve. / Ainsi la véritable force d’âme, incapable de se rendre à la discrétion d’autrui, passe à l’épreuve [12]  

Pour en savoir plus:

Raff, Th.: Dekoration als Programm oder Programm als Dekoration ? - 'Bilder' im Hauptgebäude der  Ludwig-Maximilians-Universität München dans Gerndt, H. et Haibl, M.: Der Bilderalltag - Perspektiven einer volkskundlichen Bildwissenschaft, Münster 2005, p. 333-353.


[1] cf. Sophocle, Antigone, CUF, 100-101.

[2] Platon, République, CUF, 514a sq.

[3]  Platon, Apologie, CUF,

[4] cf. Cicéron, de oratore, CUF, 2,62

[5] Horace, Odes, CUF, 3,4,65.

[6] Hésiode, Théogonie, CUF, 280-283.

[7] Ovide, Fastes, CUF, 3,449-456

[8] Cf. Pindare, Odes, CUF, 1,1.

[9] Horace, Satires, CUF, 1,9,59-60.

[10] Horace, Carmina, CUF, 3,2,13.

[11] Plutarque, Vies de Lycurgue, CUF, 21.

[12] Sénèque, Lettres à Lucilius, CUF, 2,13,1.

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