Chroniques anachroniques - Nature immense !

Texte :

            Après nos chroniques idylliques et éthérées de l’été, l’actualité climatique de notre planète nous ramène à notre douloureuse finitude face à la puissance sans égale de la nature : en effet, les régions tropicales viennent de subir le déchaînement des éléments, ouragans Irma, José, Katia, Maria (nommés, non par antiphrase, pour l’exotisme de leurs prénoms, mais par ordre chronologique d’apparition) qui ont frappé les Antilles et la Floride, et tremblement de terre dévastateur à Mexico. Les journaux bruissent encore de la fureur de ces catastrophes, qui nous réduisent à l’impuissance.

            Si nos lecteurs, déjà, ont connaissance de l’éruption du Vésuve en 79 ap. J.-C., du mythe platonicien de l’Atlantide, de l’éruption, terrible, de Santorin en 1600 av. J.-C., ou des différentes secousses sismiques autour de la Méditerranée (Alexandrie…), il nous a paru intéressant de rappeler à sa mémoire le séisme meurtrier du 13 décembre 115 à Antioche, dans la province romaine de Syrie, alors que l’empereur Trajan y séjournait en personne.

Διατρίβοντος δὲ αὐτοῦ ἐν Ἀντιοχείᾳ σεισμὸς ἐξαίσιος γίνεται· καὶ πολλαὶ μὲν ἔκαμον πόλεις, μάλιστα δὲ ἡ Ἀντιόχεια ἐδυστύχησεν. ἅτε γὰρ τοῦ Τραϊανοῦ ἐκεῖ χειμάζοντος, καὶ πολλῶν μὲν στρατιωτῶν πολλῶν δὲ ἰδιωτῶν κατά τε δίκας καὶ κατὰ πρεσβείας ἐμπορίαν τε καὶ θεωρίαν πανταχόθεν συμπεφοιτηκότων, οὔτε ἔθνος οὐδὲν οὔτε δῆμος οὐδεὶς ἀβλαβὴς ἐγένετο, καὶ οὕτως ἐν τῇ Ἀντιοχείᾳ πᾶσα ἡ οἰκουμένη ἡ ὑπὸ τοῖς Ῥωμαίοις οὖσα ἐσφάλη. Ἐγένοντο μὲν οὖν καὶ κεραυνοὶ πολλοὶ καὶ ἀλλόκοτοι ἄνεμοι· ἀλλ´ οὔτι καὶ προσεδόκησεν ἄν τις ἐκ τούτων τοσαῦτα κακὰ γενήσεσθαι. Πρῶτον μὲν γὰρ μύκημα ἐξαπίνης μέγα ἐβρυχήσατο, ἔπειτα βρασμὸς ἐπ´ αὐτῷ βιαιότατος ἐπεγένετο, καὶ ἄνω μὲν ἡ γῆ πᾶσα ἀνεβάλλετο, ἄνω δὲ καὶ τὰ οἰκοδομήματα ἀνεπήδα, καὶ τὰ μὲν ἀνέκαθεν ἐπαιρόμενα συνέπιπτε καὶ κατερρήγνυτο, τὰ δὲ καὶ δεῦρο καὶ ἐκεῖσε κλονούμενα ὥσπερ ἐν σάλῳ περιετρέπετο, καὶ ἐπὶ πολὺ καὶ τοῦ ὑπαίθρου προσκατελάμβανεν. Ὅ τε κτύπος θραυομένων καὶ καταγνυμένων ξύλων ὁμοῦ κεράμων λίθων ἐκπληκτικώτατος ἐγίνετο, καὶ ἡ κόνις πλείστη ὅση ἠγείρετο, ὥστε μήτε ἰδεῖν τινα μήτε εἰπεῖν μήτ´ ἀκοῦσαί τι δύνασθαι. Τῶν δὲ δὴ ἀνθρώπων πολλοὶ μὲν καὶ ἐκτὸς τῶν οἰκιῶν ὄντες ἐπόνησαν· ἀναβαλλόμενοί τε γὰρ καὶ ἀναρριπτούμενοι βιαίως, εἶθ´ ὥσπερ ἀπὸ κρημνοῦ φερόμενοι προσηράσσοντο, καὶ οἱ μὲν ἐπηροῦντο οἱ δὲ ἔθνησκον. Καί τινα καὶ δένδρα αὐταῖς ῥίζαις ἀνέθορε. Τῶν δὲ ἐν ταῖς οἰκίαις καταληφθέντων ἀνεξεύρετος ἀριθμὸς ἀπώλετο· παμπόλλους μὲν γὰρ καὶ αὐτὴ ἡ τῶν συμπιπτόντων ῥύμη ἔφθειρε, παμπληθεῖς δὲ καὶ τὰ χώματα ἔπνιξεν. Ὅσοι δὲ δὴ μέρους τοῦ σώματός σφων ὑπὸ λίθων ἢ ξύλων κρατούμενοι ἔκειντο, δεινῶς ἐταλαιπώρησαν, μήτε ζῆν ἔτι μήτ´ ἀποθανεῖν αὐτίκα δυνάμενοι.

            Καὶ ἐσώθησαν γὰρ ὅμως καὶ ἐκ τούτων, ἅτε καὶ ἐν ἀμυθήτῳ πλήθει, συχνοί, οὐδὲ ἐκεῖνοι πάντες ἀπαθεῖς ὑπεχώρησαν. Συχνοὶ μὲν γὰρ σκελῶν συχνοὶ δὲ ὤμων ἐστερήθησαν, ἄλλοι κεφαλῆς - - - ἄλλοι αἷμα ἤμουν, ὧν εἷς καὶ ὁ Πέδων ὁ ὕπατος ἐγένετο· καὶ εὐθύς τε γὰρ ἀπέθανε. Συνελόντι δὲ εἰπεῖν, οὐδὲν τὸ παράπαν βιαίου πάθους τότε τοῖς ἀνθρώποις ἐκείνοις οὐ συνηνέχθη. Καὶ ἐπὶ πολλὰς μὲν ἡμέρας καὶ νύκτας σείοντος τοῦ θεοῦ ἐν ἀπόροις καὶ ἀμηχάνοις ἦσαν οἱ ἄνθρωποι, οἱ μὲν ὑπὸ τῶν ἐρειπομένων οἰκοδομημάτων καταχωννύμενοι καὶ φθειρόμενοι, οἱ δὲ καὶ λιμῷ ἀπολλύμενοι, ὅσοις συνέβη ἐν διακένῳ τινί, τῶν ξύλων οὕτω κλιθέντων, ἢ καὶ ἐν ἁψιδοειδεῖ τινι μεταστυλίῳ σωθῆναι. Καταστάντος δέ ποτε τοῦ κακοῦ θαρσήσας τις ἐπιβῆναι τῶν πεπτωκότων γυναικὸς ζώσης ᾔσθετο. Αὕτη δὲ ἦν οὐ μόνη, ἀλλὰ καὶ βρέφος εἶχε, καὶ τρέφουσα τῷ γάλακτι καὶ ἑαυτὴν καὶ τὸ παιδίον ἀντήρκεσεν. Ἐκείνην τε οὖν ἀνορύξαντες ἀνεσώσαντο μετὰ τοῦ τέκνου, κἀκ τούτου καὶ τἆλλα ἀνηρεύνων, ἐν οἷς ζῶντα μὲν οὐδένα ἔτι, πλὴν παιδίου πρὸς μαστῷ τὴν μητέρα καὶ τεθνηκυῖαν θηλάζοντος, εὑρεῖν ἠδυνήθησαν, τοὺς δὲ νεκροὺς ἐξέλκοντες οὐκέτ´ οὐδὲ ἐπὶ τῇ σφετέρᾳ σωτηρίᾳ ἔχαιρον. Τοσαῦτα μὲν τότε πάθη τὴν Ἀντιόχειαν κατειλήφει· Τραϊανὸς δὲ διέφυγε μὲν διὰ θυρίδος ἐκ τοῦ οἰκήματος ἐν ᾧ ἦν, προσελθόντος αὐτῷ μείζονός τινος ἢ κατὰ ἄνθρωπον καὶ ἐξαγαγόντος αὐτόν, ὥστε μικρὰ ἄττα πληγέντα περιγενέσθαι, ὡς δ´ ἐπὶ πλείους ἡμέρας ὁ σεισμὸς ἐπεῖχεν, ὑπαίθριος ἐν τῷ ἱπποδρόμῳ διῆγεν. Ἐσείσθη δὲ καὶ αὐτὸ τὸ Κάσιον οὕτως ὥστε τὰ ἄκρα αὐτοῦ καὶ ἐπικλίνεσθαι καὶ ἀπορρήγνυσθαι καὶ ἐς αὐτὴν τὴν πόλιν ἐσπίπτειν δοκεῖν. Ὄρη τε ἄλλα ὑφίζησε, καὶ ὕδωρ πολὺ μὲν οὐκ ὂν πρότερον ἀνεφάνη, πολὺ δὲ καὶ ῥέον ἐξέλιπε.

            Pendant son séjour à Antioche, il y eut un horrible tremblement de terre ; plusieurs villes en souffrirent, mais Antioche fut la plus maltraitée. Comme Trajan y avait ses quartiers d'hiver, que nombre de soldats et nombre de particuliers s'y étaient rendus de tous côtés pour affaires, pour ambassades, pour négoce ou par curiosité, il n'y eut aucune province, aucun peuple, qui fût à l'abri du fléau : dans Antioche, tout l'univers soumis aux Romains éprouva un dommage. Il y eut bien des foudres et des vents inaccoutumés ; mais personne ne se serait attendu qu'il en naîtrait de tels malheurs. D'abord, on entendit tout à coup un grand gémissement ; suivit ensuite une violente secousse ; la terre tout entière bondissait ; les édifices s'élançaient en haut ; les uns, enlevés en l'air, retombaient et se disloquaient ; les autres, ébranlés de çà et de là, tournoyaient comme au milieu des flots agités, et, de plus, occupaient une grande partie de l'espace. Le fracas des bois qui se rompaient et se brisaient, joint à celui des pierres, des tuiles, était tellement effrayant, il se levait une telle poussière, qu'on ne pouvait ni se voir, ni se parler, ni s'entendre. Plusieurs personnes, qui étaient hors de leurs maisons, furent atteintes ; enlevées en l'air et violemment emportées, puis, précipitées comme du haut d'un escarpement, elles retombaient meurtries ; les unes étaient mutilées, les autres mortes. Des arbres même furent arrachés avec leurs racines. Quant à ceux qui périrent surpris dans leurs maisons, leur nombre est incalculable ; beaucoup, en effet, furent écrasés par le choc des objets qui tombaient ; beaucoup aussi furent étouffés sous des monceaux de terre. Tous ceux qui avaient quelque partie du corps engagée sous les pierres ou les bois, étaient dans un état déplorable, sans pouvoir ni survivre, ni mourir sur-le-champ.

            Néanmoins quelques-uns d'entre eux, sur cette population innombrable, parvinrent à se sauver ; mais tous ne s'en tirèrent pas sans souffrance. Quelques-uns y eurent ou les jambes, ou les épaules, ou la tête mutilée. D'autres vomirent le sang ; parmi eux fut le consul Pédon, qui même faillit en mourir. En un mot, il n'y eut absolument aucun fléau dont la violence ne se fît alors sentir. La divinité ayant prolongé le tremblement pendant plusieurs jours et plusieurs nuits, les habitants étaient en proie à l'incertitude et à l'embarras, les uns engloutis et tués par la ruine des édifices, les autres, à qui, soit un espace vide formé par l'inclinaison des bois, soit la voûte d'un entrecolonnement, permit de conserver la vie, mourant par la faim. Lorsque le fléau eut enfin cessé, un homme, ayant eu la hardiesse de s'avancer sur les ruines, s'aperçut qu'il y avait une femme vivante. Cette femme n'était pas seule, elle avait un enfant, et s'était soutenue en se nourrissant, elle et son enfant, de son propre lait. Après avoir écarté les décombres, on la rappela à la vie, ainsi que son enfant; puis on se mit à fouiller les autres endroits, et on n'y put trouver être vivant, excepté un enfant attaché à la mamelle de sa mère déjà morte, qu'il tétait encore. En retirant les morts, on n'avait plus de joie d'avoir conservé la vie. Tels furent les malheurs qui accablèrent alors Antioche ; quant à Trajan, il s'échappa par une fenêtre de la maison où il était, guidé par un homme d'une taille au-dessus de la taille ordinaire des hommes, qui s'était approché de lui, en sorte qu'il en fut quitte pour quelques blessures légères ; mais, comme le tremblement dura plusieurs jours, il se tint dans le cirque en plein air. Le Casius lui-même fut tellement ébranlé, que sa cime sembla se pencher et se briser jusqu'à tomber sur la ville. D'autres montagnes aussi s'affaissèrent ; de l'eau sortit en abondance là où il n'y en avait pas auparavant, comme aussi elle tarit dans des lieux où elle coulait en abondance.

Dion Cassius, Histoire romaine, tome 9, LXVIII, 24-25 traduction par E. Gros (1867)

            L’historien grec Dion Cassius (155-235 ap. J.-C.), dans sa monumentale Histoire romaine, dont la fresque voulait rivaliser avec le projet d’un Tite-Live ou d’un Tacite, selon un réflexe annalistique, propose un développement de choix à cette manifestation tonitruante de la nature dans l’histoire. Le vieux Trajan, lancé dans sa deuxième campagne contre les Parthes, tandis qu’il passait l’hiver à Antioche pour stimuler les bases d’approvisionnements des derrières du front et organiser de nouveaux renforts, est victime du très violent tremblement de terre qui rasa une grande partie de la ville. La coïncidence est tout aussi exceptionnelle que celle qui vit assister à l’éruption du Vésuve, Pline l’Ancien (qui y laissa la vie) et Pline le Jeune.

            Vu qu’Antioche figurait, avec Rome et Alexandrie, parmi les grandes métropoles du monde méditerranéen, les pertes furent colossales, d’autant plus que le séisme provoqua un tsunami qui s’abattit sur la côte libanaise : l’estimation à plusieurs centaines de milliers de victimes en ferait un des cataclysmes les plus meurtriers de toute l’histoire humaine (éruption du Vésuve, 16000 morts ; tremblement de terre de Lisbonne en 1755, entre 50000 et 70000 victimes ; éruption de la montagne Pelée de 1902, 30000 morts…). Parmi les victimes en Syrie, le consul M. Pedo Vergilianus. L’empereur y échappa de justesse, comme par miracle. Et comme tout bon politique, il sut en tirer parti : en effet, la propagande impériale mit à profit cette calamité pour révéler l’empereur comme un personnage charismatique…non sans légitimité, puisque l’empereur se trouvait déjà sur place à la différence de nos dirigeants qui prennent soin de n’arriver qu’après le désastre !

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