Extrait — L’Égypte romaine

13 octobre 2017
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Voici un extrait de L'ouverture de la mer, un très beau roman historique que vous pouvez commander ici.

Lettre de Valerius Tiron à son fils Lucius (extrait).

Quant à l’Égypte, dont tu es sans doute curieux, elle est au-delà de tout ce que tu peux concevoir, car l’idée que nous nous faisons d’elle, à Rome, est entachée de nos préjugés. Il faut vivre dans l’intimité de ses paysages, de sa faune et de sa flore, pour comprendre tout ce que sa religion, qui nous paraît si étrange, comporte de respect et de ferveur pour la création dans son ensemble. Ici, bien plus que chez nous, l’homme vit en relation constante avec les dieux, puisque tout ce qui appartient à la nature est sacré et représenté par une divinité. Tout a sa place, aussi bien le crocodile Sobek, la lionne Sekhmet ou la déesse-scorpion Selkis que la trinité Isis-Osiris-Horus.

Cette religion est un immense hymne à la vie, si belle, si intense qu’on entend bien la prolonger au-delà du tombeau. La mort n’est qu’un voyage qu’il faut préparer avec soin. Cette profonde sagesse égyptienne englobe tout, même les croyances étrangères, sans se perdre ni se renier. Tu sais qu’Octavien a fait de l’Égypte l’équivalent d’une province romaine ; elle bénéficie d’un statut particulier, car elle est propriété personnelle de l’empereur ; mais, dans l’ensemble, elle est administrée selon nos lois. Elle est pourtant encore tout imprégnée de la culture hellénistique qui l’a marquée durant trois siècles, au point que la langue parlée dans les rues d’Alexandrie, comme au Musée, est le Grec. Elle n’en a pas moins gardé ses traditions religieuses ancestrales. Il suffit, pour s’en convaincre, de poser le regard sur les murs d’enceinte des sanctuaires où, comme l’étaient précédemment les Ptolémées, César-Auguste-Imperator se trouve représenté en Pharaon, dans des scènes rituelles d’offrande aux dieux du panthéon égyptien.

La réalité quotidienne est cependant bien différente selon que l’on vit dans les métropoles ou dans les villages. Je ne saurais d’ailleurs te dire quelle Égypte j’ai aimée le plus. Celle des campagnes, où toute activité humaine est soumise au rythme des crues du Nil et de ses inondations plus ou moins propices aux cultures et à la prospérité générale ? Celle d’Alexandrie, toute entière tournée vers la mer, immense cité portuaire, fébrile dans ses échanges commerciaux, où convergent, outre les produits de l’intérieur du pays, ceux de l’Arabie et du lointain Orient, mégapole cosmopolite, si fière du rayonnement culturel de son Musée et de sa Bibliothèque et qui peut aussi s’enorgueillir de posséder l’une des merveilles du monde, le Phare, vénéré par tous les marins ?

Au début, j’ai partagé mon temps entre l’une et l’autre, dans un incessant va-et-vient. Je cherchais mes origines. Je voulais retrouver des traces de mes parents, dont je ne connaissais pas même le nom, car j’avais été séparé d’eux à un âge qui ne me laissait aucun souvenir. Dans un pays où cohabitent – et parfois s’affrontent – les communautés grecques, juives et indigènes, il me semblait important de savoir laquelle était la mienne. En outre, je voulais découvrir à quelle classe sociale j’avais appartenu avant d’être réduit en esclavage. Tu pourras suivre l’évolution de cette enquête, jusqu’au songe que les dieux m’ont envoyé cette nuit-même, alors que je m’étais endormi près du temple de Sérapis. Il en est l’épilogue et me paraît la plus belle leçon de sagesse qui m’ait été impartie.

Ainsi se termine cette chronique de mes années d’exil. Je ne vais pas pour autant cesser de noter ce que les événements et mes pérégrinations m’inspirent. Je continuerai d’être le témoin de mon époque. Il y aura donc un second volume, que je te remettrai, cette fois, en mains propres, puisque je me prépare à rentrer en Italie. J’ai déjà fait un bref séjour à Rome, juste après le grand incendie. Mais j’avais à remplir une mission précise à laquelle je devais me dédier tout entier. Désormais, tu peux compter sur mon retour définitif… Lorsque tu déposeras la robe prétexte et les insignes de l’enfance pour revêtir la toge virile, je serai à tes côtés. C’est une cérémonie à laquelle je ne peux manquer d’assister. Nous célébrerons ensemble les Liberalia[1]. En attendant, prends la peine de me lire, réfléchis et prépare-toi à notre rencontre !

Porte toi bien.

Valerius Tiron

D. PR. KAL. NOV. ALEXANDRIA DCCCXVII3 a. U. c.4


[1] La prise de la toge virile avait lieu à l’occasion de cette fête annuelle, le 17 du mois de mars.