Fabrice Reymond - L'eau se rappelle la cascade

21 juillet 2017
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La vie des Classiques vous offre les premières pages de L'eau se rappelle la cascade (anabase 5 & 6) de Fabrice Reymond paru aux éditions MIX. Aujourd'hui découvrez un auteur antique contemporain !

Cher ami,

Toujours le même plaisir de retrouver la page blanche, la trace en avant.

Je préférerais avoir déjà fini avant de commencer ou ne rien faire du tout pour ne rien enlever au monde de ce qui s’amenuise petit à petit.

Rassuré que l’humanité soit un détail dans l’histoire de la planète, la douleur de vivre un frissonnement ridicule à la surface du temps, je suis poussière consolée par la montagne.

Paratonnerre

J’écris pour être chez moi. Une maison se loue, s’achète, s’hérite, un livre se construit, se multiplie, se diffuse. Un livre est comme chez soi, l’endroit de la bonne intensité, de la bonne pression atmosphérique, l’endroit où le passage entre l’intérieur et l’extérieur est le plus facile, le plus fluide. Le livre est le seul endroit où les autres ne passent pas en premier, où l’espace reste en face. Les autres attirent notre attention, les maisons absorbent notre énergie, le texte est un paratonnerre.

Tenir un sujet, trouver un endroit où déposer ses idées, un entrepôt où la pensée puisse se détendre et prendre forme.

Que faire de l’étrange ? On l’explique c’est de la science-fiction, on en abuse c’est du fantastique, on en fait une évidence c’est de l’art ou la vie.

Le « je » que j’écris devient petit à petit un autre. Il prend son autonomie, change d’identité.

Pas de plus grande peur que celle d’être soi-même. Peur de sa puissance d’anéantissement, peur du génocide des générations, peur d’être Kronos ou ses enfants.

O muthos légei

Une légende ne naît pas comme telle, elle le devient, comme une chaussure, elle met du temps à se faire. Une chaussure doit être portée longtemps avant de devenir celle de quelqu’un, une histoire doit être racontée longtemps avant de devenir celle de tout le monde.

Les immortels de l’actualité, Hésiode et l’AFP

Jean-Claude Romand, médecin imaginaire, Jérôme Kerviel, junkie des transactions, Christophe Rocancourt, acteur dans la vie des acteurs, Édouard Stern, banquier de la mort, DSK, saint patron des clandés… Comme pour les animaux des Fables de La Fontaine, leur vie se résume soudain à un seul événement, à un seul aspect de leur personnalité, à une moralité.

La célébrité est une gomme, elle ne garde du caractère que le trait qui l’intéresse.

À vouloir tout maîtriser on finit par tout mépriser ; l’humilité accueille tout ce qui se présente avec respect.

L’écriture vient des jambes.

Eden revolving

L’homme est une exception de la loi de l’évolution, il ne participe plus à la sélection naturelle. Il s’est développé en contredisant sa nature, en inventant sa condition. Ne pas vouloir se séparer des plus faibles lui a fait bâtir des villes et des civilisations. L’humanité se construit sur ses faiblesses, elle s’élève grâce à ses membres inférieurs.

Personne ne mérite d’avoir à mériter de vivre. L’idée que chacun doive se battre pour survivre est ce qui nous reste de l’animal. Pourtant dans certains pays les hommes naissent endettés à vie, l’économie contredit parfois nos origines. Ou alors elle confirme notre malédiction post édénique et reconduit le bail emphytéotique du « péché originel ».

L’art cultive nos faiblesses, nos faiblesses provoquent notre intelligence et notre intelligence nous maintient au sommet de la chaîne alimentaire !

Cartoon

Je voudrais sortir votre cerveau par les oreilles, lui coller mon idée entre les deux hémisphères et les relâcher d’un coup. Schlak !!! Aïe ! Désolé !

Zoè

J’aimerais cette musique quotidienne de la poésie, cette basse continue du roman, mais je suis entièrement livré au temps qui passe, au vent qui souffle. Tout ce que je sais faire, c’est parler de moi dans la durée de l’espace, peut-être aussi un peu des autres. Météo au jour le jour, travail d’observation que j’exerce sur le pur réacteur chimique que techniquement je suis. Mais il est difficile de se résoudre à la première personne, à la confession. Comme pour la prostitution, rien contre moralement, politiquement, mais comment vivre en ne partageant avec les autres que ce que nous sommes par naissance ; un corps, une vie, qui nous rappellent à chaque instant qu’ils vont finir. Pour oublier cette fatalité, il faudrait faire de la prostitution un métier et de la confession un poème.

Le travail est le lieu de l’abstraction, on y fait quelque chose de sa vie, on lui donne une forme. Le travail crée de la valeur ajoutée à notre matière organique, fabrique de la mémoire exosomatique, transmet nos expériences par des objets techniques, ajoute des extensions à ce que l’on est, fait des plug in pour Zoé.

Faire de l’écriture un geste comme celui du danseur, une cohérence à long terme.