Le 13 novembre dernier, au terme d’une semaine riche en événements planétaires, s’éteignait sans bruit un antiquisant hors normes, Jackie Pigeaud. Pour tous ceux qui l’ont rencontré et ont eu la chance de profiter de son humour et de son intelligence pétillante, cette nouvelle aura provoqué chagrin et nostalgie.
Ignorant les étiquettes et les classements faciles, ainsi que les frontières artificielles érigées entre nos différentes disciplines, Jackie Pigeaud, fin latiniste et helléniste, historien de l’imaginaire médical, s’intéressait à toutes les littératures ainsi qu’à l’esthétique. Penser le corps, de l’antiquité à nos jours, fut une des constantes de sa recherche ; faire surgir des textes lus par personne, un passe-temps récurrent et fertile. Connu autant pour ses traductions et préfaces de textes latins classiques (dont beaucoup sont parus aux Belles Lettres) que pour ses incursions chez les médecins anciens et modernes, Arétée, Galien, Sydenham, Laënnec ou Pinel, il parcourait le monde, toujours avec son épouse, Alfrieda, pourvu d’un réservoir de conférences illimité. Bon vivant et sympathique, dandy adepte des costumes à rayures et des chapeaux élégants, bibliophile et bibliophage, extrêmement attaché à sa nombreuse famille et au terroir nantais, sa curiosité et sa bonne humeur étaient contagieuses.
Son œuvre importante dans le domaine de la pensée médicale demeure, de sa thèse, La maladie de l’âme, ouvrage en son temps pionnier (1981) et récemment réédité aux Belles Lettres (2012), à ses publications plus récentes sur les représentations du corps. Traduits dans de nombreuses langues, les livres de Jackie Pigeaud demeurent inconnus de la majorité du public anglophone, un paradoxe pour cet anglophile convaincu. Mais peut-être les transformations actuelles des disciplines liées à l’antiquité seront-elles l’occasion pour beaucoup de découvrir ou de redécouvrir une œuvre au style et au contenu uniques. Comme il aimait à le répéter, « si le public ne lit plus les classiques, c’est que nous sommes de mauvais philologues ! ». Mais lui, du moins, ne l’était pas: il aura plutôt été un exemple. R.I.P. Jackie Pigeaud.
Quelques titres
La maladie de l'âme, Les Belles Lettres, 1981 (3rd ed. 2006)
Folie et cures de la folie chez les médecins de l'antiquité gréco-romaine, Les Belles Lettres, 1987 (2nd ed. 2010)
L'art et le vivant, Gallimard, 1995
Poésie du corps, Payot, 1999
Poétiques du corps. Aux origines de la médecine, Les Belles Lettres, 2008
Dr. Caroline Petit
Wellcome Trust Assistant Professor
Classics and Ancient History
University of Warwick