Les Sphyrènes d’Alexandrie — La chronique de Cléopâtre-Alexandrine de Garamond

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Prenons une bibliothèque d’Alexandrie avant J.-C. et une bibliothèque moderne. Nous remarquons aussitôt que la principale différence entre les deux modèles tient en un mot : suggestions.

suggestions, du latin ecclésiastique « prières destinée à la déesse Utinam ».

On s’est beaucoup interrogé sur l’ampleur et la nature des collections de la Bibliothèque d’Alexandrie. De source sûre, on sait qu’il s’y trouvait quelques auteurs bien oubliés de nos jours comme Démétrios de Phalère, Callimaque de Cyrène, Apollonios de Rhodes, Eratosthène de Cyrène, Aristophane de Byzance, Apollodore le grammairien, et tant d’autres gratte-papyrus aux noms aussi pompeux qu’improbables et pédants. Il s’agit là d’un véritable scandale.

En effet, tous les auteurs susnommés eurent comme particularité d’avoir soit directement participé à la fondation de la Bibliothèque (c’est le cas de Démétrios de Phalère), soit d’y avoir travaillé comme bibliothécaires. Bref, il y a tout lieu de suspecter que cette « mythique » institution (guillemets de rigueur) conservait surtout les rouleaux d’une poignée de mandarins en pagne, fils de pharaons pistonnés ou peu s’en faut. La Bibliothèque nationale de France serait-elle de nos jours encore un mythe si elle abritait impunément sur ses rayonnages les ouvrages de Dominique Jamet, Emmanuel Le Roy Ladurie, Jean-Noël Jeanneney ou Virgile Starck ?

On a longtemps cherché une explication à ce scandale. La répugnante pratique du népotisme, sport bien oublié de nos jours, n’explique pas tout. Parmi les hypothèses envisagées, l’absence de culte rendue par le petit peuple d’Alexandrie à la déesse Utinam, préposée aux suggestions d’achats et aux cadeaux de Noël. Parmi les hypothèses non creusées, et que nous nous flattons de présenter ici en avant-première : l’absence de cahier de suggestions d’achats. C’est à cette absence, pensons-nous sans preuve aucune mais non sans raison certaine, qu’il faut attribuer la consternante absence du catalogue alexandrin des meilleurs auteurs continentaux de ce temps, que le public d’Égypte réclamait pourtant ardemment.

On ne trouvait à Alexandrie aucune œuvre du génial Marc-Henri Lévy-Lévy, romancier profond et philosophe perspicace à la fois, ni chef-d’œuvre du placide Musso, pour ne mentionner que ces deux phares des belles-lettres gauloises. Sans même parler de Katherine Pankhôl, phare des poétesses de ce millénaire. En revanche, on sait de source sûre que les bibliothécaires de l’époque, au lieu de soigner leurs tableaux de bord et de s’interroger sur la pertinence de leurs indicateurs bibliothéconomiques (mot grec dont ils ignoraient jusqu’à l’existence, c’est tout dire), préféraient recopier bêtement des œuvres venues du monde entier. Certains de ces fonctionnaires empagnés et accroupis traduisaient même la bible hébraïque pendant leur temps de bureau.

On ne s’étonnera pas, dans ces conditions, que le grand public alexandrin ait massivement fuit cette institution fonctionnant en vase clos et destinée à stipendier la crème des oisifs de la capitale. La bibliothèque d’Alexandrie a-t-elle brûlé ou pas ? À cette question mal posée par des historiens sans imagination, nous répondons sans hésiter : Peu importe, puisqu’elle n’était pas à l’écoute de ses lecteurs et ne disposait pas d’un cahier de suggestions d’achats.

C’est ainsi que les bibliothèques d’aujourd’hui (en particulier la bibliothèque de Saint-Jean-sur-Richelieu, Québec) sont grandes, alors que la bibliothèque d’Alexandrie avant J.-C., qui ne disposait même pas d’un rouleau destiné aux suggestions d’achats, demeure très surfaite.

Bibliographie :

Callimaque, Fragments poétiques ; éd. Yannick Durbec. Paris : Les Belles Lettres, 2006. (Fragments ; 6).

Eratosthène de Cyrène, Catastérismes ; éd. par Jordi Pàmias I Massana, traduction par Arnaud Zucker. Paris : Les Belles Lettres, 2013. (CUF).

Scholies à Apollonios de Rhodes ; traduites et commentées par Guy Lachenaud. Paris : Les Belles Lettres, 2010. (Fragments ; 9).

La Bible dAlexandrie ; trad. par Marguerite Harl [et alii]. Paris : Cerf, depuis 1986.  

Stark (Virgile), Crépuscule des bibliothèques. Paris : Les Belles Lettres, 2015.