Les Sphyrènes d’Alexandrie, par Cléopâtre-Alexandrine de Garamond

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Prenons une bibliothèque d’Alexandrie avant J.-C. et une bibliothèque moderne. Nous remarquons aussitôt que la principale différence entre les deux modèles tient en un mot : graffiti.

graffiti, du grec γράφειν, cf. fr. grave.

À Alexandrie, on grave ses graffiti avec un stylet, c’est entendu. Mais que grave-t-on ? C’est là une grave question qui divise les érudits. Pour les pédants de l’école hypercritique, on grava essentiellement des obscénités ; pour les pédants de l’école romantique, ce furent essentiellement des billets doux, témoin le touchant : Κλεοπάτρα ΚΑΙ IVLIVS = CÆSARIO. Des vulgarités telles que cretensis cretensem ne sont pas attestées avant l’an 1528 ap. J.-C. (amphore du  Kanmuseum de Rotterdam), pour ne rien dire du desdemona + cassio = amor, plus tardif encore.

Dans une bibliothèque moderne, au hasard celle de l’Académie de Burdigala, on lit plutôt des épigrammes belliqueuses, du genre : Massilien, va niquer ta mère / sur la Cane-Cane-Canebière. La fraîcheur du pied éclate à chaque mot ; la forme (un octosyllabe suivi d’un neuvain de Bordeaux), rare chez un étudiant es football d’ordinaire familier du 4-4-2, constitue un démenti cinglant aux pédants épitogés qui assimilent football et analphabétisme crasse. Observons maintenant une tabula de la bibliothèque de l’Académie de Massiliaquae. Nous constatons que l’art du poème bachique y est toujours cultivé, témoin l’inscription lapidaire : Burdigalais encuvés. Datée au sorbone 14 de septembre 2009, millésime excellent pour les bordeaux, elle infirme définitivement le stéréotype éculé du massilien volubile et buveur de pastis. Dernier enseignement ethnographique à tirer de cette histoire (du grec historia, enquête) : le graphomane burdigalais trouve l’inspiration dans la colle cléopâtre, tandis que le massilien travaille à coups de tipex blanc à même le bois. Tous deux relèguent bien loin l’Alexandrin de l’époque romaine, dont le frêle coup de stylet sur cire molle n’a pas résisté à l’incendie du Musée, bêtement dépourvu d’amphores à neige carbonique aux normes ISO 843, pourtant en vente dans tous les bazars méditerranéens.

C’est ainsi que les bibliothèques universitaires d’aujourd’hui (en particulier celles de Burdigala et de Massiliaquae, aux graffiti empreints d’une pureté toute cicéronienne) sont grandes alors que la bibliothèque d’Alexandrie avant J.-C., qui ne disposait pas d’amphores aux normes ISO 843, demeure très surfaite.

Bibliographie :

Tiziano Dorandi, Le stylet et la tablette. Paris : Les Belles Lettres, 2000. (L’âne d’or ; 12).