Pauline Lejeune enseigne le latin et le grec dans un lycée de la banlieue parisienne. C'est son choix. Partagez le quotidien d'un cours pas tout à fait comme les autres.
S’il y a bien un domaine où le professeur de lettres classiques doit exceller, c’est celui des sorties scolaires, motivation première et parfois unique des élèves et de leurs parents, au point qu’il se murmure que l’ouverture culturelle devrait figurer dans les nouvelles épreuves du CAPES 2030. Il faut dire que la tâche se révèle souvent titanesque.
Il s’agit tout d’abord de trouver une sortie pédagogiquement valable et d’expliquer aux élèves que non, le Parc Astérix n’est pas la meilleure initiation à la civilisation gallo-romaine et que même si 303 (le film qui va incessamment clore la tétralogie hollywoodienne sur l’héroïsme spartiate) est bien inspiré de l’histoire grecque, Attila a fait bien moins de mal aux gazons occidentaux que les studios américains à la réalité historique.
Une fois la sortie planifiée, la deuxième épreuve consiste à l’organiser. Seuls ceux qui ont vu la scène d’anthologie des Douze travaux d’Astérix peuvent se faire une petite idée de ce que cela signifie : outre les difficultés pour obtenir le formulaire A habituel, le remplir, et le faire parvenir à temps aux services compétents, il faut :
- appeler le Musée (comptez une bonne demi-journée pour réussir à les joindre) et réserver un créneau autre que le dimanche matin à 8h, celui qu’on a toujours la magnanimité de vous octroyer.
- trouver un accompagnateur digne de ce nom qui aime l’Antiquité : vous comprendrez alors ce qu’était Pylade pour Oreste.
- prévenir les collègues que des élèves répartis sur pas moins de dix classes différentes vont partir en sortie. Pour fuir leur courroux, un entraînement physique est recommandé.
- ramasser toutes les autorisations de sortie, attestations d’assurance, décharges parentales, cartes d’identité, RIB, cartes de groupe sanguin, et autres impedimenta réclamés comme “ABSOLUMENT NECESSAIRES” par l’administration.
Après cette mise en jambes, il ne faut pas s’endormir sur ses lauriers : préparer la sortie suppose d’aller soi-même faire la queue pendant deux heures pour visiter une première fois l’exposition. À ce moment-là vous êtes à la croisée des chemins : à gauche, l’option questionnaire que, pour des raisons publicitaires, vous devrez appeler “rallye”, en promettant une récompense digne de ce nom aux heureux gagnants, c’est-à-dire ceux qui ont répondu à 3 des 45 questions que vous aviez minutieusement préparées sur votre temps libre. À droite, le traditionnel discours explicatif : dans ce cas, préparez-vous à fuir, tel Persée, le regard de toutes les Méduses que seront à n’en pas douter les autres visiteurs de l’exposition agacés par votre éloquence. Notez toutefois que certains musées proposent désormais de vous munir d’audio-guides, un moyen radical pour hurler dans les oreilles de ceux de vos élèves qui lorgnent d’un peu trop près les symboles ithyphalliques, et pas seulement dans les vitrines.
Après tout cela, il ne vous reste plus qu’à affronter l’épreuve ultime : subir sans se métamorphoser soi-même en Erinye hystérique, les gentilles et affectueuses remarques de vos collègues : « Tu es tout le temps en sortie, toi : c’est cool d’enseigner le latin et le grec ». Bref, les sorties scolaires, avec ou sans baskets ASICS, permettent de revenir un peu moins ignorant mais sainement exténué : « mens sana in corpore sano ».