Anthologie - Claudien : Le phénix

24 septembre 2019
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Entouré par les flots de l’extrême Océan, un bon verdoie

Au-delà des Indiens et de l'Eurus; le premier ébranlé

Par les chevaux qui soufflent, il sent les coups de près

Quand le char couvert de rosée fait résonner le seuil humide

 D'où rougeoie le jour à venir et la Nuit, par l'éclat des roues

Soufflée au loin, pâlit avec son manteau qui s’échappe

L'oiseau trop heureux de Titan habite ce royaume;

Protégé par une étendue accidentée, il détient seul

Un bord inaccessible aux animaux malades,

Sans souffrir de fâcheux contacts avec le monde humain.

L’oiseau, égal aux dieux, dont la vie dure autant que les étoiles,

Renouvelle ses membres et épuise le temps.

Sans être habitué à apaiser par la nourriture sa faim

Ni à écarter sa soif aux fontaines, il se nourrit

Des plus purs rayons du Soleil, il goûte à l'aliment venteux

De Téthys en cueillant les mets d'une vapeur inoffensive.

Un mystérieux éclat rayonne dans ses yeux, une gloire de feu

Entoure son visage; une pointe avec crête élève

Un astre né sur sa tête éclatante et il fend les ténèbres

D'une clarté sereine; la drogue de Tyr colore ses pattes.

Plus rapides que le Zéphyr, ses ailes sont bordées

D'un éclatant azur qui, en haut, s'enrichit d'un semis d’or.

Il ne naît ni d'une semence ni d'une conception.

Mais il est son père et son fils; sans qu'un autre le crée,

Par une mort féconde, il reforme son corps qui a servi :

Par autant de décès, il gagne une autre vie

Car quand un long été a tourné mille fois, qu'autant d'hivers

Se sont précipités, que le printemps avec autant de courses

Aux cultivateurs a donné l'ombre ôtée par l’automne

Lors, sous le poids de tant d'années, il est enfin soumis

Vaincu par le nombre des lustres tel un grand pin vacille

Au sommet du Caucase, épuisé de tempêtes;

Son propre poids va entraîner tardivement sa chute

Sous le vent continu, il tombe pour partie et pour partie se brise,

Rongé par les averses; le mal de la vieillesse a arraché le reste

Déjà sa lumière décroît, plus brève, et son étoile, paresseuse,

Languit sous la glace des ans: ainsi, quand les nuées

Prennent Cynthie, elle s'évanouit, sa pointe est incertaine.

Habituées à traverser le cœur des nues, ses ailes

Déjà ont peine à s'élever du sol. Alors, conscient du temps

Passé, il se prépare à commencer une forme renouvelée

Sur des collines tièdes, il recueille des herbes sèches

Dispose un amas sabéen tressé de feuillages précieux

Qui va être pour lui et un bûcher et un enfantement.

Il s'y assied; il salue le Soleil par un cri de douceur

Affaibli, et y mêle des prières; par un chant de supplique

Il demande le feu qui lui fournira de nouvelles forces.

Quand Phébus le voit à distance, il tire sur les rênes,

Soudain s'arrête et console son pieux fils par ces paroles :

 «Toi qui vas déposer ta vieillesse sur ces fagots et obtenir

Sur ce tombeau fictif ta renaissance, toi qui souvent renais

De ton décès et rajeunis de ton propre trépas

Reçois à nouveau le principe, abandonne ce corps Rapetissé,

change de forme, avance-toi meilleur. »

À ces mots, en hâte, il secoue sa tête pour lancer

L'un de ses cheveux blonds: il envoie un éclair de vie

Qui frappe l'oiseau consentant. De fait, il se laisse brûler

Pour revenir et se réjouit de mourir, pressé de naître.

Le monceau parfumé s'échauffe sous les célestes traits

Et il consume le vieux corps. La Lune stupéfiée retient

Ses taurillons brillants, le ciel ne pousse pas son axe paresseux.

Tandis que le bûcher enfante, Nature inquiète travaille

À ne pas perdre l'oiseau éternel et rappelle aux flammes fidèles

De faire revenir la gloire immortelle du monde.

À l'instant la vigueur circule dans les membres dispersés

En bouillonnant, le sang qui revit inonde les veines

Les cendres sans contrainte commencent à bouger pour vivre

Et à vêtir de plumes la poussière rude mais chaude.

Celui qui avait été père s'élance maintenant le même, en fils,

Et, renouvelé, se succède : aux confins des deux vies,

Le feu, au milieu, les sépare par un minuscule intervalle

Aussitôt il lui plaît de consacrer les mânes de son père

Au bord du Nil et de porter au littoral du pays de Pharos

La boule de son père. Rapide, il tend vers un monde étranger

Avec la dépouille enfermée dans une gaine végétale.

Avec lui, des oiseaux sans nombre; en l'air, cette cohorte ailée

L'escorte dans son vol: dans ses diverses courses,

L'immense armée ennuage à foison le firmament.

De tous ces milliers d'oiseaux, aucun n'ose voler

Devant le chef, mais ils vénèrent le chemin, la fragrance du roi;

Ni l'épervier cruel ni même l'écuyer du maître du tonnerre

Ne provoque de guerre: le respect crée un pacte général

Ainsi le chef parthe conduit depuis le fleuve Tigre

Ses bataillons barbares :avec abondance de pierreries

Et de riches parures, il orne son cimier de couronnes royales,

Il bride son cheval avec de l'or; l'aiguille assyrienne a brodé

Son vêtement teint à la pourpre; gonflé par le pouvoir,

Il est fier de sa haute autorité sur des armées soumises.

Une ville illustre en Egypte et très connue par son culte apaisé

Honore le Titan et un temple immense est porté

Par cent colonnes arrachées aux montagnes de Thèbes.

C’est là, rapporte-t-on, qu'il dépose selon le rite

La masse de son père; du dieu son maître il vénère la face,

 Déjà confie sa charge au feu, et déjà destine aux autels

Germes et restes de lui-même: étonnés, les seuils brillent

Et un fumet divin s'exhale des autels

En s'étendant jusques aux marais de Péluse,

Une senteur indienne pénètre les narines, emplit les hommes

D'effluves salutaires et un souffle plus doux que le nectar

Envahit de vapeurs les sept bouches du Nil aux reflets noirs

Heureux, héritier de toi-même! Ce qui nous dissout tous

À toi fournit des forces. La cendre te donne un commencement

Et ta vieillesse meurt sans que tu périsses toi-même.

A soulevé et déversé sa vague, inondant les rochers,

Quelle année a brûlé des errances de Phaéton;

Aucun désastre ne t'emporte, tu demeures seul survivant

Une fois la terre domptée. Les Parques contre toi

N'enroulent pas de fils cruels, sans avoir le droit de te nuire.