Anthologie - Les crues antiques du Nil en clin d'œil mouillé et solidaire à celle que nous subissons aujourd'hui

3 février 2021
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Voici deux extraits de L'Antiquité en détresse de Jean-Louis Poirier.

Le Nil est un fleuve singulier, et pas seulement à cause du mystère de ses sources. Outre qu’il grossit en été, il a cette particularité que ses crues sont bénéfiques. L’Égypte lui doit sa prospérité, sauf exceptions alors catastrophiques. Il est vrai que ce phénomène, si étonnant et si utile, est, dès la plus lointaine Antiquité, suivi de près par les autorités et attentivement contrôlé, dans un bel exemple de maîtrise de la nature et de gestion des ressources en eau. On comprend aussi qu’une telle singularité appelle une explication et mobilise l’attention des voyageurs et des géographes.

LES CRUES DU NIL

À cette époque-là encore (vers l’an 548), les eaux du Nil montèrent de dix-huit coudées et, en débordant, elles inondèrent l’ensemble de l’Égypte. En Thébaïde pourtant, une région plus en amont, ses eaux débordèrent puis se retirèrent aux moments voulus et laissèrent la population locale ensemencer la terre et, en général, vaquer à ses occupations habituelles. 7. Mais quand elles eurent submergé la région plus en contrebas, loin de se retirer, elles restèrent et bloquèrent toute la période de l’ensemencement, ce qui ne s’était absolument jamais produit auparavant. Il existe un secteur où même, après s’être retirée, l’eau revint peu de temps après et recouvrit à nouveau les terres. 8. Voilà pourquoi la totalité des semences pourrissaient – toutes celles qui avaient
été mises en terre dans l’intervalle –. Devant l’étrangeté du phénomène, les hommes étaient impuissants, tandis que la grande majorité des animaux, faute de nourriture, périssaient.

Procope, Histoire des Goths, Livre III, ch. XXIX
 

Les crues du Nil ne sont donc pas toujours des bienfaits, le fleuve doit être surveillé et la population informée. Les Égyptiens savent faire : on pouvait voir ainsi un ingénieux dispositif permettant de mesurer les crues du fleuve. Il s’agissait d’un pieu ou d’une colonne graduée en coudées : les crues tenues pour bonnes devaient afficher seize coudées. À ce sujet, on lit dans Sozomène (Histoire ecclésiastique, V, 3, 3) que l’empereur Julien « prescrivit de ramener au temple de Sarapis la coudée du Nil et les symboles du culte selon les traditions anciennes : selon un édit de Constantin en effet, on les apportait à l’église ». (Traduction Festugière). L’empereur Constantin avait pris cette décision vers 325, en vue de christianiser le culte de la crue du Nil. Citons également le Tableau V du Livre I de la Galerie de tableaux, de Philostrate.

LE « NILOMÈTRE »

Quant à Syène et Éléphantine, la première est une ville située à la frontière de l’Éthiopie et de l’Égypte, tandis que la seconde est une île sur le Nil qui s’étend en face de Syène à un demi-stade ; il s’y trouve une ville avec un temple de Knouphis et un nilomètre, comme à Memphis. Ce nilomètre est une citerne construite en pierres équarries sur la berge du Nil, sur laquelle sont marquées les crues du fleuve les plus hautes, les plus basses et les moyennes, car l’eau contenue dans le puits monte et baisse en fonction du fleuve ; il y a alors des marques dans la paroi de la citerne qui mesurent les bonnes crues et les autres. On observe donc ces marques et on annonce le résultat au reste de la population, pour information : on sait en effet longtemps à l’avance, grâce à ces repères et aux dates, quand aura lieu la prochaine crue et on l’annonce à l’avance. C’est une information très utile aux paysans pour la gestion de l’eau, les digues, les canaux et autres choses de ce genre, et également aux préfets pour estimer les revenus, car plus les crues sont importantes et plus les revenus qu’elles annoncent sont élevés.

Strabon, Géographie, XVI, 1, 48