Anthologie - Le Phénix de Lactance

17 septembre 2019
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Le Phénix est un oiseau tellement merveilleux qu’il fascine et inspire celui que la postérité a pourtant surnommé le « Cicéron chrétien », Lactance (250-325 de notre ère).


 

Il y a, retiré aux marches de l’Orient, un lieu béni

Où du ciel éternel s’ouvrent les larges portes.

Il ne connait ni le  levant de l’été ni celui de l’hiver

Mais rayonne des beaux jours du printemps.

En ce lieu, un plateau déploie ses plaines découvertes : 

Nul tertre n'y surgit, nul vallon ne s'y creuse, 

Mais les monts de chez nous, que nous jugeons si hauts 

De deux fois six coudées ce plateau les dépasse. 

Ici se trouve le vallon arboré du Soleil et ses bois sacrés

Il a reçu l’honneur d’être d’arbres innombrables, toujours verts

Quand le monde s’embrasait, brûlé par Phaéton, 

Ce lieu seul demeura à l'abri de ses flammes ; 

Et lorsque le déluge eut recouvert le monde, à l’époque de de Deucalion,

Ce lieu seul émergea des eaux.

Ici n’existent ni la maladie blême , ni la vieillesse douloureuse

Ni la mort cruelle ni la peur farouche n’y ont place

On ne voit ni le crime abominable ni la soif du pouvoir

Le feu  et la folie de l’amour en sont absents

De même le chagrin et la noire indigence

Les amers soucis et la faim criminelle.

Là, jamais de tempête et jamais d'ouragan, 

Jamais de gel couvrant de givre blanc la terre; 

Point de nuage sombre étendant sa toison, 

Point d'averse tombant de la voûte du ciel. 

Mais au centre jaillit une source d'eau vive, 

Limpide et toujours calme, abondante en eaux douces, 

Qui, débordant soudain au cours de chaque mois, 

Inonde le bosquet douze fois par année. 

Là des arbres dressés sur leurs fûts élancés, 

Portent des fruits bien mûrs qui ne tombent jamais. 

C’est dans ces bois sacrés que vit l’oiseau unique, le phénix

Unique car chaque mort le fait renaître,

Illustre et fidèle acolyte de Phébus.

La Nature, qui l’a enfanté, lui a accordé cette faveur.

Trois fois quatre fois l’oiseau saint baigne son corps dans les eaux du ruisseau

Trois fois quatre fois il goûte à ses eaux vives

Puis il s’envole jusqu’à la cime la plus élevé de l’arbre le plus grand

Regarde de haut l’ensemble des bois

Et, tournée vers les nouveaux rayons du Phébus qui s’éveille

Il guette l’aube et les premiers rayons qui approchent.

Puis, lorsque le soleil heurte le seuil splendide 

Et que point le reflet de la prime lumière, 

L'oiseau commence alors un chant religieux, 

Appelant par sa voix les nouvelles clartés. 

Ni la voix ni la flûte harmonieuse d’Aédonie

De leurs sons cirrhéens n'égalent ses accents ; 

Ni le cygne mourant, ni les cordes sonores 

De la lyre cylénienne ne pourraient l'imiter. 

Mais après que Phébus à lâché ses coursiers, 

Et que, toujours montant, il dévoile son disque, 

En son honneur l'oiseau par trois fois bat des ailes, 

Saluant le soleil par trois fois, il se tait.

C'est lui aussi qui marque aussi les heures qui s'envolent, 

Nuit et jour, par des sons qui ne trompent jamais. 

Il est prêtre des bois et gardien du bosquet, 

Et le seul qui connaisse, ô Phébus, tes arcanes. 

Dès qu'il a parcouru mille ans de sa vie, 

Dès que sa longue existence a rendu lourd son corps, 

Afin de retrouver la jeunesse perdue en remontant le temps

Il quitte le doux nid que lui donnent les bois.

Et lorsqu’il quitte ces lieux saints porté par le désire de renaître

Il gagne notre monde où la mort est maîtresse. 

Vif en dépit des ans, il s’envole en Syrie 

Qui reçut de l'oiseau son nom de  Phénicie. 

Il y cherche un bois isolé à travers les terres désertes

Où se trouve une forêt cachée par les vallons

Alors il choisit, pointant sa cime vers le ciel, un palmier

De l’espèce à laquelle il a donné son nom.

Nul animal ne peut escalader ses branches

Ni le serpent sournois ni l’oiseau de proie.

Alors Éole enferme les vents dans leur outre

De peur qu’ils n’abiment le ciel de leur souffles violents

Ou qu’un nuage porté par le vent familier à travers les cieux vides

Ne masque le soleil et ne nuise à l’oiseau.

Celui-ci se construit son nid ou son sépulcre,
Car s’il meurt, c’est pour vivre, et c’est lui qui se crée. Il va chercher alors dans la riche forêt
Les parfums d’Arabie et les sucs d’Assyrie,
Ceux qui viennent de l’Inde et ceux que le Pygmée Cueille dans son pays, et ceux de la Sabée:
Le cinname et l’amome au souffle parfumé,
Il les assemble avec les feuilles balsamiques ;
La casse à l’odeur douce et l’acanthe embaumée,

Et les larmes d’encens tombant en lourdes gouttes, Il les joint aux épis encore tendres du nard,
Avec la panacée et l’essence de myrrhe.
Il installe en ce nid son corps qui va changer,
Et sur ce lit de vie il se livre au repos.

Puis, de son bec, il répand sur ses membres 

Les sucs dont les parfums embaumeront sa mort 

Parmi tant de senteurs, enfin, il rend l'âme ; 

Et sans crainte d’offrir à la fin l’enveloppe qu’il a déposée.

Pendant ce temps son corps détruit par une mort qui le régénère

S’illumine, et sa chaleur elle-même fait jaillir des flammes.

Du ciel lointain un rayon vient l’atteindre:

Son corps s’embrase et bientôt il est réduit en cendre.

Puis, comme dans la mort, un tas se forme avec ses cendres

Mais qui donne la vie.

On dit que de là sort un animal sans membres

A la couleur laiteuse comme certains vers.

Il grandit pendant un temps déterminé,

Puis se ramasse et prend la forme d’une sphère.

Ainsi il retrouve sa forme originaire

Et le Phénix renaît de son cocon brisé,

Tout comme d’ordinaire les chenilles des champs, quand elles s’’attachent par un fil à un rocher,

Se changent en papillon.

Les fruits de notre monde lui sont interdits; 

Petit, nul n'est commis au soin de le nourrir. 

Il goûte la fine rosée d’ambroisie et le nectar céleste

Tombés du ciel étoilé. 

Tels sont les mets parfumés dont l’oiseau se sustente,

En attendant son entière croissance.

Dès que fleurit pour lui la prime adolescence

Il s’envole à nouveau vers sa patrie pour rejoindre sa demeure.

Non sans avoir auparavant, avec ce qui reste de ses os ses cendres et sa propre dépouille

Fait une boule avec son son bec pieux

Et l’avoir enveloppée de pommade, de baume, de myrrhe et d’encens.

La tenant dans ses serres, l’oiseau s’élance en direction du Levant

Et la dépose sur l’autel d’un temple sacré

Il attire sur lui tous les regards et les offrandes de tous

Tant sa splendeur et grande et son prestige immense.