Entretien de La Vie des classiques avec Jean-Noël Robert

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Jean-Noël Robert, latiniste et historien de Rome, a publié aux éditions Les Belles Lettres une quinzaine d'ouvrages sur l'histoire des mentalités dans l'Antiquité romaine, parmi lesquels Les Plaisirs à Rome (1986, nouvelle édition 2005), Rome la gloire et la liberté (2008), Les Romains et la mode (2011) ou L'Empire des loisirs (Signet, 2011). Il dirige en outre la collection « Realia » et celle des « Guides Belles lettres des civilisations » dans laquelle il a signé deux volumes, Rome et Les Étrusques. Il nous parle aujourd’hui de son dernier ouvrage Témoin de la déséducation nationale (Les Belles Lettres, 2017).

LVDC — Jean-Noël Robert, voici plus de quarante ans, vous avez choisi d’exercer le métier de professeur : pourquoi ? Quelles étaient vos attentes ? Quelles rencontres ont été déterminantes pour vous ?

JNR— Je n’ai pas connu, comme c’est souvent le cas aujourd’hui, de questionnement quant à mon orientation. Peut-être parce que j’avais des exemples d’enseignants auprès de moi qui exerçaient leur profession avec passion et parce qu’il était question du métier tous les jours à la table familiale. Mais j’aurais pu, par esprit de contradiction, vouloir m’en démarquer. En fait, le métier de professeur m’attirait pour sa dimension humaine. Il est difficile de travailler le bois ou le fer, mais il m’apparaît encore plus difficile d’avoir affaire à des êtres humains, surtout lorsqu’ils sont dans une période de formation. C’est une très grande responsabilité et je ne suis pas sûr que les professeurs en ont toujours conscience quand il se livrent sciemment à un endoctrinement politique ou religieux, comme cela peut encore arriver. Il m’a toujours paru que c’était une noble mission que celle d’instruire, et à ce sujet je trouve que le terme d’instruction publique utilisé jadis convenait mieux que celui d’éducation nationale. C’est à la famille d’éduquer, mais il revient à l’école d’instruire, c’est-à-dire d’apprendre à se tenir droit, de transmettre les connaissances qui ont permis à l’homme de poursuivre son évolution et aux civilisations de se construire. Il est extrêmement gratifiant d’éveiller de jeunes esprits, de voir leur curiosité, parfois leur stupéfaction quand ils découvrent de nouveaux domaines dont ils ignoraient tout jusque-là. Je repense à ce qu’écrivait Monsieur Germain à son ancien élève Albert Camus qui venait d’obtenir le prix Nobel de littérature : « Je crois, durant toute ma carrière, avoir respecté ce qu’il y a de plus sacré dans l’enfant : le droit de chercher sa vérité. Je vous ai tous aimés et crois avoir fait tout mon possible pour ne pas manifester mes idées et peser ainsi sur votre jeune intelligence. » Voilà très bien résumée la conscience professionnelle d’un professeur. J’ai évidemment moi-même connu de ces moments éblouissants quand un professeur éclaire un pan entier de votre ignorance et vous ouvre le chemin du savoir. Je pense par exemple aux leçons brillantes de mon maître Pierre Grimal, aux subtiles réflexions des étruscologues Alain Hus et Raymond Bloch, ou encore aux magistrales explications d’Euripide que nous donnait Jacqueline de Romilly. Il s’agissait de moments rares et précieux qui m’éblouissaient à l’époque et dont je comprends mieux aujourd’hui l’importance.

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Feriez-vous le même choix aujourd’hui ?

Pour être honnête, je n’en suis pas sûr. En tant que tuteur et formateur, j’ai guidé les premiers pas de nombreux jeunes professeurs, souvent agrégés de lettres classiques, et j’ai mesuré leur désarroi quand ils constataient, non sans stupeur, que les enseignements abstraits et théoriques qu’on leur délivrait à l’école des professeurs, ex-IUFM, étaient à proprement parler impossibles à mettre en œuvre dans une classe. Et ils se trouvaient pris entre deux feux, d’une part les instructions reçues qu’ils devaient appliquer s’ils voulaient être évalués positivement, et d’autre part la réalité du terrain où tous les beaux préceptes enseignés se heurtaient au mur de la réalité. Je voudrais simplement rappeler que le nombre de jeunes enseignants qui démissionnent lors de leurs premiers contacts avec les élèves va croissant. Il n’y en eut jamais autant qu’en 2017 et leur nombre, selon le ministère, a cru de 30 % depuis 2015 ! Devant la pénurie, certains chefs d’établissements en sont réduits à placer une annonce dans Le bon coin pour trouver de prétendus enseignants à mettre devant les jeunes ! Que s’est-il donc passé ?

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Dans votre livre, Témoin de la déséducation nationale, vous vous montrez très critique de l’institution, notamment à l’égard des « pédagogistes ». Pouvez-vous nous expliquer qui ils sont ?

R- La chose est complexe. Pour bien comprendre pourquoi notre école, qui était admirée de tous les pays non seulement en Europe mais au-delà, a pu sombrer dans les profondeurs des différents classements (par exemple, sur trente-cinq pays, en mathématiques, nous brandissons fièrement la lanterne rouge), pourquoi le ministère reconnaît lui-même que 20 % des enfants entrant en sixième ne savent pas lire etc. etc., il faut d’abord se rappeler que l’institution scolaire a connu une véritable révolution à partir de 1969. À l’époque, on ne s’est pas contenté de bouleverser les études en condamnant les humanités classiques afin de lutter contre l’élitisme, un certain nombre d’esprits qui se croyaient novateurs ont voulu échafauder des pédagogies nouvelles et inédites fondées sur des théories psychologiques plus ou moins illuminées. Ce fut le début de la vogue de ce que l’on appelle les pédagogistes, c’est-à-dire le plus souvent des théoriciens qui n’avaient jamais vu un élève de près (ou alors pas depuis fort longtemps) et qui élucubraient en s’abritant sous l’expression « sciences de l’éducation ». Il leur fallut quelques années pour s’imposer, mais depuis plus de trente ans, ils dominent l’évolution de la pensée en matière de pédagogie. Ce sont eux qu’un livre récent désigne sous le nom d’« assassins de l’école ». Ce sont eux par exemple qui ont promu la redoutable méthode globale de lecture qui fit tant de ravages. Il est vrai que leurs inventions changeaient suivant les époques comme autant de modes, montrant par là l’inanité de leur contenu. Mais leurs méfaits ne s’arrêtent pas là. Ils ne sont pas simplement de naïfs Trissotins, de divertissants professeurs Nimbus. Leurs théories prennent en effet la coloration politique des idéologies qu’ils ont à cœur de promouvoir, et sûrs de détenir la vérité, ils ont exercé une sorte de terrorisme intellectuel sur tous ceux qui oseraient montrer leur désaccord. Tout opposant n’est qu’un méprisable réactionnaire, pour ne pas dire un facho. Toute la hiérarchie doit être à leur écoute. Les inspecteurs généraux sont là pour réciter leur catéchisme. J’en ai connu un qui m’a tenu deux discours radicalement opposés, mais entre les deux il avait pris sa retraite et m’a déclaré qu’il pouvait enfin me dire ce qu’il pensait vraiment… Ces idéologues, généralement incompétents en matière d’enseignement, ne sont que des techniciens qui attachent peu d’importance au savoir et réduisent l’enseignement à la pédagogie. Comme me l’a dit un jour un conseiller du ministre de l’époque, si le savoir est symbolisé par un moteur, il est clair que le plus important, c’est l’huile que l’on versera dans le moteur et sans laquelle il se cassera rapidement. Je lui ai fait remarquer que je trouvais certes l’huile essentielle, mais que de l’huile sans moteur ne permettrait pas d’aller très loin. Il ne faut donc pas caricaturer en accusant les détracteurs de ces fantaisies pédagogiques d’être des conservateurs qui ne pensent qu’à la transmission des connaissances.

Tous les professeurs usent de pédagogie, mais celle-ci n’est qu’un moyen de promouvoir les savoirs. Elle ne constitue pas le cœur du métier. L’idéal pour moi serait même de pouvoir adapter sa pédagogie à chaque élève pour lui permettre de tirer le meilleur de lui-même et de progresser. Je ne pense donc pas que l’on puisse parler de théories pédagogiques, mais plutôt d’expériences, au pluriel, que l’on adapte à chacun, à chaque situation, à chaque classe…

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Vous parlez de terrorisme intellectuel. Pouvez-vous nous expliquer quelles sont les armes de ce terrorisme ?

Je vais en citer trois que je trouve assez caractéristiques.

Il y a tout d’abord le jargon ridicule qui est utilisé pour masquer derrière des périphrases alambiquées le vide abyssal de la pensée et qui sert surtout à impressionner le commun des mortels. En effet les Français sont ainsi faits qu’ils admirent surtout ceux qui prononcent des discours qu’ils ne comprennent pas parce qu’ils les croient plus intelligents. Pour ne citer que quelques expressions, si vous entendez un de ces pédagogistes vous parler de supports cognitifs ou d’outils scripteurs, de surface scripturale à usages multiples ou de déplacement en milieu aquatique profond standardisé, il faut simplement comprendre qu’il parle de livres et de stylos, de tableau (qu’il ne faut plus dire noir, d’abord parce qu’il est souvent blanc, et surtout parce que le terme serait « raciste » !) ou de natation. Mais mon préféré reste le terme de récréation qui est devenu « un espace-temps de liberté interstitielle » ! Je donne dans mon livre des exemples de phrases entières qui concernent le programme de français des classes de collège dans la toute dernière réforme et qui ne veulent strictement rien dire. Peut-être vaut-il mieux d’ailleurs ! Je ne peux m’empêcher de penser à Molière lorsque Chrysale se moque des femmes savantes et de Trissotin : « On cherche ce qu’il dit après qu’il a parlé / et je lui crois pour moi le timbre un peu fêlé ».

Le deuxième élément de ce terrorisme intellectuel concerne l’égalitarisme que l’on cherche à nous vendre pour l’égalité. Or les deux mots n’ont rien à voir ensemble. L’idéologie qui sous-tend cette notion essaie de nous faire accroire que tous les enfants sont doués de la même intelligence abstraite. C’est évidemment un argument auquel les parents se rallient volontiers, et on les comprend. Et cependant, tous les enseignants savent que les jeunes cerveaux ne fonctionnent pas à l’unisson. Il en va de l’intelligence abstraite comme des capacités physiques : tout le monde n’est pas capable de gagner une compétition de 110 m haies parce que tout le monde ne bénéficie pas de la même agilité ni de la même morphologie. Notre système néglige par exemple ceux qui ont de l’or dans les mains, mais il prétend que tous peuvent devenir de brillants génies mathématiques (même si le génie en question ne sait trop quoi faire quand on lui met une poêle dans une main et deux œufs dans l’autre). On ne tient pas compte non plus, outre les appétences, des efforts et du travail fournis. Cet égalitarisme a de lourdes conséquences, par exemple sur l’évaluation car il est impensable que certains aient de meilleurs résultats que d’autres, il faut donc supprimer les notes, et par conséquent les examens, à commencer par le baccalauréat. L’autre conséquence tient dans le fait que chacun doit pouvoir faire les études qu’il désire et que tous devraient au moins obtenir une licence ( l’ancienne Ministre N. Belkacem a même déclaré que « c’est un droit de l’homme » !). On a vu le résultat avec la plate-forme APB pour les lycéens en terminale : comme il n’y avait pas assez de place pour tout le monde, on a instauré le tirage au sort si bien que des élèves qui avaient eu leur bac au rattrapage sont entrés à l’université quand d’autres, titulaires d’une mention très bien, se retrouvaient sans affectation. Et tout cela pour avoir 60 % d’échecs à la licence. Voilà ce qu’est l’égalitarisme. Ce n’est plus l’éducation nationale, c’est La Française des jeux.

Un dernier élément caractéristique de ce terrorisme intellectuel exercé par les intouchables pédagogistes du ministère : la liberté pédagogique des professeurs. Être professeur est un métier qui s’apprend et se perfectionne tout au long d’une carrière avec des spécificités qui font que, comme dans tout métier, ceux qui n’y ont pas été préparés sont incapables de l’exercer et ne devraient rien avoir affaire dans le domaine de la pédagogie. Être professeur, cela suppose d’abord la meilleure connaissance possible de sa discipline. Mais il est évident que cela ne suffit pas. L’exercice de la pédagogie pour transmettre les connaissances et la culture nécessite, outre un apprentissage, un long exercice réfléchi de la profession. Chaque classe est différente, chaque établissement est différent, chaque élève est unique. Il faut donc adapter son enseignement et ses méthodes aux jeunes qui nous sont confiés. Cela veut dire qu’il faut faire confiance aux professeurs, ne pas leur imposer une pédagogie théorique et générale valable pour tous mais au contraire respecter la liberté de chaque enseignant afin qu’il puisse exercer ses talents au plus près de la réalité du terrain. Or c’est précisément cette liberté pédagogique qui a été entravée depuis plusieurs décennies. On pourra objecter que les professeurs, en général, ont toujours laissé piailler la basse-cour ministérielle et fait ce qu’ils voulaient dans leur classe. C’est vrai, et je peux en témoigner le premier. Cependant l’exercice de cette liberté n’est réservé qu’à ceux qui ont déjà une longue expérience et qui n’ont plus rien à attendre de leur hiérarchie quant à leur carrière. Il n’en va pas de même pour les jeunes professeurs qui sont beaucoup plus bridés. Je pense que nous avons un baromètre, aussi bien au lycée qu’à l’université (dont je ne veux pas parler ici parce que la question se pose différemment, même si elle se pose aussi), il s’agit des résultats aux examens. On peut me dire ce que l’on veut, si je constate que mes élèves ou mes étudiants ont des résultats très satisfaisants, bien au-dessus des moyennes nationales, j’aurai du mal à me persuader que mes méthodes ne sont pas bonnes.

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Vous consacrez un chapitre vibrant à la laïcité à l’école : en dehors des débats sociaux généraux, et des polémiques, pourquoi celle-ci a-t-elle une place déterminante à l’école plus spécifiquement ?

L’école (au sens large, du CP à l’université) a certes d’abord la mission de transmettre des connaissances pour préparer chacun à son avenir, mais elle a aussi le devoir de former des citoyens, ceux de notre République. Je rappelle simplement que la France est un des quatre pays au monde qui a inscrit la laïcité dans sa constitution. Comme le disait Victor Hugo : « Pour faire un citoyen, commençons par faire un homme, ouvrons des écoles ». Nous avons donc pour mission de faire adhérer nos jeunes disciples aux valeurs fondamentales de notre république laïque. Pourquoi ? Tout simplement parce que ces valeurs vont leur permettre d’apprendre à se respecter, à se tolérer, et à vivre ensemble quelles que soient leurs idées politiques et leurs croyances religieuses. Quand je vois ces jeunes de diverses origines s’entraider et travailler ensemble à une même tâche, je pense toujours à Saint-Exupéry qui disait : « Mon frère, si tu diffères de moi, loin de me léser, tu m’enrichis. » Ce mot pourrait être une des définitions de la laïcité, l’apprentissage de la fraternité. Il est donc essentiel qu’aucun groupe d’aucune sorte ne tente de faire pression sur les autres pour leur imposer ses convictions ou sa foi. Mais cette imprégnation des valeurs ne se fera pas par de grands discours. Il se fera par la connaissance de notre histoire, par la lecture et la compréhension des grands textes, et particulièrement par les écrits de ceux qui se sont battus, au XVIIIe siècle, pour promouvoir ces valeurs (en s’inspirant d’ailleurs souvent de celles de la république romaine). Le fait que les récentes réformes aient tenté de passer sous silence certaines périodes clés de notre histoire et de notre littérature montre bien que nos idéologues du ministère étaient bien conscients de leur importance, et peut-être que cet état d’esprit, qui est celui de notre civilisation, avait de quoi les contrarier…

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L’école doit-elle être un sanctuaire ?

R- J’ai envie de vous faire une réponse de Normand : oui et non.

Oui parce que justement l’école est un des creusets de la laïcité et qu’elle est là pour protéger les enfants de toutes les turbulences de notre monde, de toutes les violences dont ils sont trop souvent les victimes. Nous devons les préparer, les armer pour affronter ce monde et, dans ce but, les préserver tant qu’ils n’auront pas la force morale de se forger une opinion sans se laisser influencer. Non si l’on considère que l’on doit vivre à l’école replié sur soi-même comme dans un monde parallèle. En effet il me semble que c’est au professeur d’amener progressivement des jeunes à prendre un contact raisonné avec leur environnement, c’est au professeur de les conduire dans les lieux notamment artistiques où ils pourront comprendre notre civilisation et se trouver dans des situations qui seraient sans doute inaccessibles à la plupart d’entre eux. Je veux dire, par exemple, aller au théâtre, fréquenter les musées, faire des rencontres, découvrir le monde… Je citerai un cas. Chaque année, j’aime emmener mes latinistes en Italie, à la découverte de ces merveilles archéologiques afin qu’ils apprennent à lire les sites antiques et y trouvent la concrétisation de ce qu’ils découvrent dans les textes. Mais cela ne suffit pas. Lors d’un récent voyage à Rome, j’ai obtenu, non sans mal, de pouvoir être reçu à la villa Médicis et de passer une après-midi avec un artiste résident. Cela ne s’était jamais fait, mais ce fut une réussite extraordinaire. La rencontre avec cette artiste qui nous reçut dans son atelier et a placé des planches originales dans les mains de mes jeunes fut source d’échanges enrichissants et d’inoubliables émerveillements de part et d’autre.

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Quelle place donner aux humanités ?

Que voulez-vous que vous réponde un professeur de latin ? Une place essentielle, pour ne pas dire primordiale, évidemment ! Pour être plus précis, il me semble que l’étude des humanités est capitale pour la compréhension à la fois de notre langue, avec ses nuances, et de notre pensée. Certes, on peut toujours dire que l’étude du latin ou du grec est inutile, certains politiques ne s’en sont pas privés, je ferai simplement remarquer que 80 % du vocabulaire français est issu du latin, que la structure de notre langue découle de la grammaire latine et que toute la pensée occidentale plonge ses racines dans le terreau de la Grèce et de Rome. Les valeurs dont se gargarise notre époque sont inspirées de celles qui édifièrent la république romaine, à commencer par la libertas ou l’humanitas. Alors cessons d’être hypocrites et comprenons que la fréquentation des Grecs et des Romains de l’Antiquité ne peut que servir la compréhension de notre époque et nourrir la réflexion qu’il nous faut sans cesse enrichir. Je pourrais m’étendre pendant des heures sur le sujet, mais je préfère abréger en citant un rapport sur les langues anciennes datant de 2011 et qui souligne le danger de marginaliser ces disciplines fondatrices (qui, contrairement à ce que l’on affirme, n’ont rien d’élitiste - Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage !) avec cette phrase : « Comment l’école pourrait-elle prétendre enseigner les valeurs humanistes si elle renonce à pratiquer les disciplines fondatrices de l’humanisme ? »

Quelle place donner aux parents dans l’école ?

J’ai (presque) toujours eu d’excellents rapports avec les parents d’élèves, parce qu’il existait entre nous un respect mutuel. Il ne faut d’ailleurs pas mettre tous les parents dans une seule et même catégorie et il est difficile d’en parler globalement. Néanmoins je tiens à dénoncer la démagogie et l’hypocrisie de nos autorités qui ont donné un pouvoir exagéré aux parents au sein de l’école. Il a même existé une époque (lorsque que Lionel Jospin était premier ministre) où les voix des parents au conseil d’administration ou de discipline du lycée l’emportaient sur celles des professeurs. Comment s’étonner alors que les parents se soient sentis investis d’un pouvoir particulier et aient considéré les chefs d’établissement et les enseignants comme des domestiques, les traitant parfois avec condescendance ? De surcroît, ils n’ont pas tous les mêmes opinions sur la pédagogie ou sur le contenu des programmes, et vouloir suivre les idées des uns et les préconisations des autres placerait rapidement les enseignants devant un dilemme cornélien. Je tiens à dire et à redire que le professorat est un métier et que, comme pour tout métier, ceux qui n’y ont pas été formés n’ont pas à expliquer aux experts ce qu’ils doivent faire. Je ne suis pas en train de dire qu’il faut rompre les ponts avec les parents, bien au contraire. Parents et professeurs sont complémentaires et les uns doivent aider les autres à mieux comprendre les jeunes. J’ai d’ailleurs constaté, non sans amusement, que les parents qui se mêlent de donner aux professeurs des leçons de pédagogie, par exemple lors d’un conseil de classe, étaient le plus souvent ceux qui se montraient incapables d’éduquer leurs propres enfants et qui ne savaient plus comment s’y prendre quand leur enfant-roi était devenu un ado-tyran. Donc, ne généralisons pas, mais œuvrons pour rétablir un juste équilibre dans lequel chacun assume sa responsabilité et n’a pas à donner de leçons aux autres.

Quelle a été votre plus belle réussite comme enseignant ?

R- Il est toujours très difficile de dire si l’on a réussi ou pas. Si je garde le mot, je dirai que la plus belle réussite était la réussite de mes élèves et de mes étudiants. Leurs bons résultats aux examens, leur orientation réussie, leur parcours de vie, et certains ont réalisé de fort belles performances qui se mesurent, à tous niveaux, par leur bonheur dans la vie. Mais au terme de réussite, je préfère celui de satisfaction. Et là, je me placerai surtout sur le plan humain. Sans entrer dans le détail, le degré de confiance établi avec beaucoup de mes grands élèves et de mes étudiants, et qu’ils m’ont témoignée à bien des reprises en me sollicitant pour les aider dans des situations personnelles difficiles (et qui n’avaient plus rien à voir avec le latin !) constitue pour moi la preuve qu’au-delà du professeur, il y a d’abord l’homme. Cette dimension humaine m’a toujours paru essentielle. J’aimerais pouvoir dire comme Térence : « Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger ».

Pour finir, s’il fallait retenir une leçon de votre carrière, laquelle serait-elle ?

R- Je crois pouvoir dire que le professorat est un très beau métier à la condition de l’exercer avec cœur. C’est un métier difficile, exigeant. Il faut toujours se remettre en question, toujours chercher à comprendre les jeunes qui sont en face de nous. Notre rôle est celui de passeur ; il s’agit de transmettre une culture qui est la nôtre et à laquelle ils doivent être initiés. Il faut aussi leur donner envie, susciter la curiosité, éveiller l’intelligence. Victor Hugo usait d’une belle formule pour définir les maîtres d’école, il les qualifiait de « jardiniers en intelligence humaine ». C’est une lourde responsabilité, mais aussi une tâche exaltante qu’à mon avis, on ne peut mener à bien qu’en éprouvant une sincère empathie pour les jeunes et en créant les conditions d’un véritable échange avec eux. Ainsi que je l’ai souvent dit à mes stagiaires : « aimez-les ».

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