Entretien avec Olivier Massé

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Image : Couverture Olivier Massé, La Chienne
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La Vie des Classiques a posé dix questions à Olivier Massé, l'auteur du roman La chienne paru récemment chez Æthalidès dans lequel il propose de revisiter la guerre de Troie version "Thelma & Louise". 

1) Comment vous présenter ? Quels ont été vos parcours intellectuel et professionnel jusqu’ici ?

J'ai suivi des études de lettres classiques qui m'ont conduit à l'enseignement. Je me souviens encore nettement d'un professeur d'université qui expliquait avec admiration que chez Homère, Hélène n'était pas condamnée moralement. Je ne comprenais pas bien alors pourquoi Homère était extraordinaire en cela. Maintenant, avec le passage du temps, je le comprends mieux.

2) Pourquoi avoir choisi ce personnage de la mythologie ?

J'étais obsédé par l'interprétation de l'Iliade, débattue dès l'Antiquité (pensez au traitement si déroutant des dieux), ainsi que par la fameuse "question homérique" qui a fait couler tant d'encre. Pourquoi Hélène ? Parce qu'il s'agit d'un mystère dans le mystère !  Citons trois éléments particulièrement étonnants : à sa première apparition, elle tisse la guerre sur sa toile, puis du haut des remparts la voilà qui nomme les guerriers à Priam, enfin, avant la clôture de l'épopée, elle prononce l'ultime éloge funèbre d'Hector. Pourquoi elle ? Comme si Homère lui donnait un rôle d'autrice ...Isocrate ne rapporte-t-il pas la légende selon laquelle elle aurait demandé en songe à Homère d'écrire l'Iliade  ? Un tel positionnement m'a fasciné.

3) Avec quelles sources avez-vous travaillé ?

Essentiellement donc l'Iliade (la trame, plusieurs passages du chant III - dit "chant d'Hélène, jusqu'au nom de "chienne" dont Hélène s'accuse parfois elle-même), mais aussi Odyssée IV, et quelques autres souvenirs de variantes du mythe. S'ajoutent des éléments sur les "Temps obscurs" et cet autre sujet fascinant de la perte de l'écriture après la disparition du linéaire B... J'ai même fait un stage pour m'initier sur tablette d'argile à cette graphie disparue !

4) Comment avez-vous sélectionné les épisodes ?

C'est un peu comme un tissage : des fils entrelacés. Au début s'installent les thèmes de l'enfermement et du ressentiment, la reconstitution du passé (histoire personnelle, arrivée des "ténèbres"), puis de nouveaux développements apparaissent, de nouveaux motifs, sans perdre de vue la trame générale et la fin...

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5) Quel était votre objectif avec ce livre ? Pour qui l’avez-vous écrit?

Mon objectif, je ne sais pas trop, tout n'est pas conscient figurez-vous. J'ai souvent été choqué de voir présenter les héros homériques comme simples, par opposition à ceux qui ont suivi. C'est une ignorance trop répandue aujourd'hui : ces personnages sont au contraire complexes, fruits d'une immense tradition orale, dont l'origine se perd dans la nuit des temps, et dont deux œuvres sophistiquées sont l'aboutissement.

Quoi qu'il en soit, je ne souhaitais pas de prérequis à la lecture, pas de connaissance préalable, ni d'Homère ni de rien de savant. Et c'est le cas me semble-t-il, les personnages étant nommés simplement par rapport à la narratrice : ses deux maris successifs, ses beaux-parents etc. Peu importe que l'on reconnaisse qui est qui, ou à quel passage du mythe telle scène peut renvoyer, même si cela peut donner l'envie de chercher.

6) Pourquoi « féministe » dans le sous-titre ?

Il n'y a pas de sous-titre. Le mot "féministe" apparaît uniquement dans la 4ème de couverture.  Le livre y est présenté comme "une version inédite, intimiste et féministe" de l'Iliade.  Il s'agit clairement d'une présentation éditoriale. Le lecteur adhérera ou pas à cette interprétation. Je m’abstiendrai de vous donner la mienne.

7) S’agit-il d’un nouvel « éloge paradoxal d’Hélène » comme il s’en est écrit beaucoup dans l’Antiquité ?

Un éloge ? Non, il s'agit d'une vie. C'est plus important.

8) Rendre la voix d’une femme était-ce une gageure pour vous? Comment avez-vous procédé?

C'est curieux, j'ai écrit un recueil poétique où je faisais parler un homme préhistorique,  puis dans un autre la tête coupée de Léonidas, et on ne m'a jamais posé une telle question.

9) Les propos de votre Hélène sont ceux d’une femme d’aujourd’hui : pourquoi cet anachronisme revendiqué ?

Je ne sais pas. Si vous parlez d'elle comme d'un personnage historique, de quand la datez-vous et à quelle société appartenait-elle ? On ne cesse de redécouvrir l'Antiquité. Est-on certain qu'il n'y ait pas eu un espace différent pour les femmes avant les "Temps obscurs", avant l'instauration d'un fort patriarcat, et n'y en aurait-il pas des traces ou résurgences plus tard ici ou là, comme par exemple à Sparte, la patrie d'Hélène, où les femmes étaient si libres ?

 A la lecture de l'Iliade, je suis frappé par l'affirmation de la catégorisation et par son dépassement. C'est particulièrement valable pour Hélène : elle est capable de parler à tous, elle peut prendre plusieurs voix, elle appartient à plusieurs mondes. C'est cette pluralité que j'ai voulu exploiter.

10) S’il fallait retenir une chose d’Hélène, ce serait quoi ?

Se défaire du stéréotype où on a pu l'enfermer.

11) Quels sont vos prochains projets d’écriture ?

L'acte d'écriture est-il forcément une démarche volontaire et réfléchie ? En réalité, il s'agit pour moi d'une vision qui s'impose. Si donc un jour un personnage antique m'apparait en songe, je vous ferai signe !

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