Aujourd’hui La Vie des Classiques vous invite à la découverte d’Etygram, une association de passionnés d’étymologie grecque, désireux de partager cette passion avec les élèves, les étudiants, les collègues… et les curieux de tout poil et de toute lettre.
Par Arnaud Zucker
Les trois missions principales d’Etygram sont :
1) de sensibiliser les élèves aux charmes de l’étymologie grecque et à la créativité qu’elle permet, à l’intelligence de la langue qu’elle développe chez toute personne qui observe un mot dans ses langes, un mot dans ses dessous et ses souvenirs (ses dessouvenirs)
2) de créer un dictionnaire étymologique, non pas au service des étymologies définies par les savants modernes —c’est là une affaire qui va déjà son train sans nous, et il existe des dictionnaires de ce genre dans diverses langues, en français c’est « le Chantraine », il y a le dictionnaire de Beekes en anglais, plus récent, et bien d’autres… non… ce dictionnaire que nous construisons se consacre aux étymologies populaires, aux étymologies sauvages, aux étymologies buissonnières, à toutes celles que les Grecs anciens et les Byzantins ont proposées de leurs vocables, avec intuition et réflexion, de l’intérieur de la langue.
3) d’organiser des manifestations et des rencontres scientifiques internationales autour des théories et des pratiques étymologiques antiques. Depuis 4 ans, deux colloques ont déjà eu lieu, un ouvrage collectif est soumis à édition et un autre en voie de soumission.
Le dictionnaire étymologiqueen cours, œuvre centrale et de longue haleine baptisée Gramety, est un travail en ligne et collaboratif, si bien que toute personne intéressée et familière des textes grecs peut y contribuer (avec une validation nécessaire par un des responsables, Claire Le Feuvre, professeur à Sorbonne Université, et moi-même). Il compte actuellement plus de 300 fiches, pour plus de 150 mots. Il s’agit d’un dictionnaire constitué de fiches très complètes, donnant la première occurrence d’une suggestion étymologique dans la littérature ancienne avec ses références complètes et la traduction en anglais de la phrase qui la contient, avec des commentaires scientifiques en particulier sur les procédés et les règles linguistiques suivis par les auteurs anciens dans la reconstitution de l’étymon en question, la liste des parallèles rencontrés dans la littérature postérieure, l’interprétation étymologique moderne proposée pour le terme et de sa survie éventuelle dans la langue grecque actuelle. On trouve des propositions étonnantes, parfois loufoques, parfois pertinentes, qui témoignent d’un constant désir de réflexion sur les relations entre les mots, et qui constituent des fenêtres ouvertes sur l’inconscient linguistique et culturel des Grecs. Ainsi pour le mot ἄνθρωπος, il n’y a pas moins de sept étymologies différentes et complémentaires dans les textes. Ces étymologies permettent de découvrir les différentes caractéristiques de l’homme à travers la décomposition ou l’anatomiedu mot. Ainsi on retrouve, dans les étymologies proposées, qui dans l’esprit des Anciens se complètent sans se concurrencer ni se nuire, puisqu’elles contribuent collectivement à éclaire le sens d’un mot : le regard, la parole, la réflexion, la station droite, la tension vers le ciel et les dieux. Car les étymologies sont, pour les Grecs, une recherche de sens et de définition et parfois même un petit laboratoire philosophique : elles sont une façon de définir les noms en passant par la matière du nom, en scrutant ce qu’il a dans le ventre.
Ce qui est absolument remarquable, c’est que tous les auteurs grecs de l’Antiquité et de la période byzantine, tous sans exception, jouent avec l’étymologie, jouent et réfléchissent à travers elle, car l’étymologie, pour les Grecs est un jeu sérieux, un serious game. Ainsi ce n’est pas seulement dans les dictionnaires mais aussi chez les poètes que l’on trouve quantité de suggestions ou d’interprétations étymologiques, totalement explicites ou clairement signifiées par la proximité des mots qui se font écho, dès Hésiode et Homère, dont l’Odysséemanifeste d’emblée, au début du premier chant, que le destin épique d’Ulysse est ancré —et encré !— dans la souffrance (ὀδύρομαι, 1.55) et la haine des dieux et des hommes (ὀδύσσομαι, 1.62).
Avec les élèves, l’esprit de l’enquête n’est pas différent : on leur propose des compétitions de virtuosité étymologie avec une très forte composante de créativité. Lors d’une manifestation annuelle, à laquelle une centaine d’entre eux, venant de divers établissements, sont conviés avec leurs professeurs, à la Villa Kérylos de Beaulieu, ils se livrent à des jeux qui concluent une préparation en classe durant le trimestre. Un des exercices consiste à proposer la définition d’un mot forgé dont les constituants sont deux, trois, quatre, cinq… (certains sont allés jusqu’à dix…) étymons assemblés et proposés au hasard, avec lesquels il faut faire sens.