Le Poulpe de Pouzzoles - Extrait du chapitre 3

24 août 2018
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Aujourd'hui, La vie des Classiques vous offre un extrait du Poulpe de Pouzzoles que vous pouvez dévorer en intégralité ici

Une petite galère liburnienne, traversant le lac Lucrin, approchait de la villa, venant sans doute de Baïes ou de Misène. Elle transportait apparemment des gens d’importance : une petite troupe de Prétoriens en descendit, puis deux personnages entourés de serviteurs. L’un des deux attirait l’attention, car il semblait s’abriter, ou se dissimuler, sous un grand parasol doré tenu par un esclave noir.

Le premier personnage était un homme plutôt râblé, vêtu à la diable d’une tunique douteuse, mal rasé, mal coiffé, les dents gâtées. Son regard vif et perçant allait et venait comme s’il tenait à ne rien manquer du paysage, de la villa, ni des personnes qu’il découvrait ; il paraissait affable, mais se tenait mal, voûté, l’allure négligée d’un cuisinier d’auberge ou d’un cordonnier plus que d’un commis de l’Empire. Il était suivi d’un petit esclave d’une dizaine d’années, du même style que lui, hirsute, avec des dents erratiques, et sale comme un peigne.

Quant au deuxième personnage, il fallut attendre qu’il fût presque en haut pour le découvrir sous son parasol ; ce fut comme une apparition, issue de quelque fantasmagorie mythologique. Un être menu à la peau diaphane, presque nu sous une tunique de soie transparente. Une coquille d’or brillait au bas de son ventre, serrée contre sa chair ivoirine par des chaînettes d’or et de perles qui s’entrecroisaient jusque sur sa poitrine et son cou ; un diadème d’or, piqué de fleurs fraîches, serrait sur son front de longues boucles noires aux reflets bleus. Le visage était d’une beauté si fine, ses yeux verts si lumineux, qu’on avait du mal à décider de sa réalité, et plus encore de son sexe. Je n’avais pour ma part jamais rien vu de pareil, mais il était évident qu’une beauté aussi sophistiquée, parée de bijoux et de voiles aussi éblouissants, et gardée par les Prétoriens, ne pouvait appartenir qu’à César.

L’homme, qui s’exprimait dans un latin plutôt relâché, s’adressa au maître de maison et se présenta comme Gaius Flavius Falco, affranchi impérial, homme de confiance du Prince, commis au bureau des enquêtes, pour l’instant aux ordres du préfet de la Flotte de Misène, qui répondait à l’appel de Quintus Valerius. On l’avait chargé de faire rapidement la lumière sur ces meurtres affreux et sur les rumeurs et l’agitation qu’ils avaient déclenchées. Puis il montra l’étrange petite divinité qui l’accompagnait :

« Éarinus, que le Maître chérit plus que personne au monde, a désiré m’accompagner, tant il a été ému de ces nouvelles détestables. Il entend suivre régulièrement les progrès de notre enquête et en informer César. Il a autorité sur les Prétoriens chargés de sa sécurité. Pour ma part, j’envisage de m’installer ici quelques jours, dans ta belle villa, à l’écart du centre de Pouzzoles et de ses inutiles autorités municipales, le temps de débrouiller cette affaire et de mûrir mon conseil ; j’aurai quatre Prétoriens sous mes ordres. Éarinus reviendra quand il le voudra, avec l’accord du Prince, qui, de retour des confins, séjourne pour quelques jours à Baïes, avant de retourner à sa villa d’Antium, puis à celle d’Albe, pour y préparer ses triomphes à Rome. »