Libre comme un livre - L’antre de Calypso

27 mars 2020
Image :
Image :
Texte :

Amis des Classiques, prenez un moment pour (re)lire ce magnifique texte d’Homère: un pur moment de bonheur avec la divine Calypso n’est jamais de trop. Dans l’antre de la nymphe bouclée, lieu idéal, vous trouverez de la poésie, mais aussi une réflexion sur l’envie et l’égalité.

Quand, au bout du monde, Hermès aborda l’île, il sortit en marchant de la mer violette, prit terre et s’en alla vers la grande caverne, dont la Nymphe bouclée avait fait sa demeure.

Il la trouva chez elle, auprès de son foyer où flambait un grand feu. On sentait du plus loin le cèdre pétillant et le thuia, dont les fumées embaumaient l’île. Elle était là-dedans, chantant à belle voix et tissant au métier de sa navette d’or. Autour de la caverne, un bois avait poussé sa futaie vigoureuse: aunes et peupliers et cyprès odorants où gitaient les oiseaux à la large envergure, chouettes, éperviers et criardes corneilles, qui vivent dans la mer et travaillent au large.

Au rebord de la voûte, une vigne en sa force éployait ses rameaux, toute fleurie de grappes, et près l’une de l’autre, en ligne quatre sources versaient leur onde claire, puis leurs eaux divergeaient à travers des prairies molles, où verdoyaient persil et violettes. Dès l’abord en ces lieux, il n’est pas d’Immortel qui n’aurait eu les yeux charmés, l’âme ravie.

Le dieu aux rayons clair restait à contempler. Mais, lorsque, dans son cœur, il eut tout admiré, il se hâta d’entrer dans la veste caverne et, dès qu’il apparut aux yeux de Calypso, vite il fut reconnu par la toute divine : jamais deux immortels ne peuvent s’ignorer, quelque loin que l’un d’eux puisse habiter de l’autre.

Dans la caverne, Hermès ne trouva pas Ulysse: il pleurait sur le cap, le héros magnanime, assis en cette place où chaque jour les larmes, les sanglots, le secouaient le cœur. Calypso fit asseoir Hermès en un fauteuil aux glacis reluisants, et la toute divine interrogea le dieu:

Calypso.—Tu viens chez nous, Hermès à la baguette d’or? et…pour quelle raison? Je t’aime et te respecte. Mais ce n’est pas souvent qu’on te rencontre ici. Exprime ton désir : mon cœur veut l’exaucer, si je puis le remplir. S’il n’est pas impossible.

Ce disant, Calypso approchait une table, la chargeait d’ambroisie, puis d’un rouge nectar lui faisait le mélange et, mangeant et buvant, le messager de Zeus, le dieu aux rayons clairs se restaurait le cœur. Le repas terminé, Hermès prit la parole et lui dit en réponse :

Hermès.— Pourquoi je suis venu, moi, dieu, chez toi, déesse? je m’en vais franchement te le dire: à tes ordres. C’est Zeus qui m’obligea de venir jusqu’ici, contre ma volonté : qui mettrait son plaisir de courir cette immensité de l’onde amère? et ton dans voisinage, il n’est pas une ville dont les hommes, aux dieux, offrent en sacrifice l’hécatombe de choix! Mais quand Zeus qui tient l’égide a décidé, quel moyen pour un dieu de se dérober? … Zeus prétend qu’un héros est ici, près de toi, et le plus lamentable de tous ceux qui, sous la grand’ville de Priam, étaient allés combattre. Aujourd’hui sans retard, il faut le renvoyer: c’est Zeus qui te l’ordonne; car son destin n’est pas de mourir en cette île, éloigné de ses proches.

A ces mots, un frisson secoua Calypso; mais élevant la voix, cette toute divine lui dit ces mots ailés:

Calypso.— Que vous faites pitié, dieux jaloux entre tous! Ô vous qui refusez aux déesses le droit de prendre dans leur lit, au grand jour, le mortel que leur cœur a choisi pour compagnon de vie! [l’Aurore aux doigts de rose avait pris Orion: quelles colère, ô dieux, dont la vie n’est que joie! Il fallut qu’Artémis, cette chaste déesse, vînt de son trône d’or le frapper à Délos de ses plus douces flèches ! Une seconde fois] quand, Iasion gagna le cœur de Déméter, la déesse bouclée lui donna, dans le champ du troisième labour, son amour et son lit; mais Zeus ne fut pas long à savoir la nouvelle! Il le tua d’un coup de sa foudre divine. Aujourd’hui, c’est mon tour : vous m’enviez, ô dieux, la présence d’un homme ! de ce mortel que j’ai sauvé quand, sur sa quille, tout seul, il m’arriva! de sa foudre livide, en pleine mer vineuse, Zeus lui avait frappé et fendu son croiseur! Son équipage entier de braves étaient morts; mais la houle et le vent sur ces bords le jetèrent et, moi, je l’accueillis, le nourris, lui promis de le rendre immortel et jeune à tout jamais…Mais il n’est que trop vrai: lorsque Zeus qui tient l’égide a décidé quel moyen pour un dieu de marcher à l’encontre ou de se dérober?

L’Odyssée, V, 55-140