Platon & les cigales

21 juillet 2020
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Sans cesse recommencées, les cigales sont nos fidèles compagnons de l'été. Ecoutons les chanter en compagnie de Platon.

Extrait de Métamorphoses. D'Actéon au posthumanisme, Textes rassemblés et commentés par Blanche Cerquiglin, Les Belles Lettres, " Signets", 2018.

Platon nous met en garde : le sommeil est dangereux car, le temps d’une sieste, l’homme peut soudain se réincarner en cigale... Le philosophe exprime ici l’une des grandes interro- gations humaines : la peur du sommeil, terra incognita, lieu de tous les possibles et de tous les dangers, où l’on peut se perdre et se réinventer.

À L’HEURE DE LA SIESTE

D’après la légende, les cigales étaient jadis des hommes, de ceux qui existaient avant la nais- sance des Muses. Quand les Muses furent nées et que le chant eut paru sur la terre, certains hommes alors éprouvèrent un plaisir si bouleversant qu’ils oublièrent en chantant de manger et de boire, et moururent sans s’en apercevoir. C’est d’eux que par la suite naquit l’espèce des cigales : elle a reçu des Muses le privilège de n’avoir nul besoin de nourriture une fois qu’elle est née, mais de se mettre à chanter tout de suite, sans manger ni boire, jusqu’à l’heure de la mort ; après, elles vont trouver les Muses et leur disent qui les honore ici-bas, et à qui d’entre elles est adressé cet hommage. À Terpsichore elles parlent de ceux qui l’ont honorée dans les chœurs de danse, et les lui rendent ainsi plus chers ; à Érato, de ceux qui l’honorent dans les rites de l’amour ; aux autres de même, suivant la forme de chaque hommage. À l’aînée, Calliope, et à sa cadette Uranie, elles parlent de ceux qui passent leur vie à philosopher et qui honorent l’art qui leur est propre, car entre toutes les Muses, ce sont elles qui s’occupent du ciel et des questions de l’ordre divin aussi bien qu’humain, et qui font entendre les plus beaux accents. Ainsi, pour bien des raisons, nous devons parler et ne pas céder au sommeil à l’heure de midi.

Phèdre, 258e-259d