Une découverte en Arles antique : Marie-Pierre Rothé

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Entretien avec Marie-Pierre Rothé, archéologue – responsable scientifique de l’opération archéologique de la Verrerie

Musée départemental Arles antique

Presqu’île du Cirque romain

Quelle est votre mission dans l’équipe arlésienne ?

J’ai été recruté par le musée en 2009 pour relancer l’étude des sites archéologiques arlésiens fouillés précédemment. Pour ce faire j’accueille les étudiants et chercheurs afin de les aider dans leurs démarches et je dois lancer des programmes de recherche et coordonner des publications. C’est dans ce cadre que j’ai été amenée à travailler à partir de 2013 sur le site de la Verrerie fouillé dans les années 1980 mais dont les découvertes n’ont jamais été publiées alors qu’il avait révélé les vestiges d’une domus de la fin du IIe siècle à l’apparat décoratif développé (mosaïques, placages de marbre, bassins d’agrément…).

Où en étaient les fouilles à votre arrivée en 2009 ?

Je me suis dans un premier temps consacrée à l’archivage des données de fouille, à la numérisation des anciens clichés, à la publication d’une nécropole arlésienne, avant de participer au chantier de fouille Arles Rhône 3 (inventaire et tri du matériel archéologique). Ce n’est qu’en 2013 que les fouilles ont repris sur le site de la Verrerie puisque la Ville avait décidé de redégager les vestiges mis au jour dans les années 1980 avant de les remblayer (pour les protéger). Le musée m’a demandé de prendre la responsabilité de cette opération qui était une fouille dite d’urgence tandis que depuis 2014 nous sommes dans le cadre d’une fouille programmée qui répond à une problématique de recherche.

En quoi consiste votre travail sur le terrain ?

Il consiste à diriger cette opération archéologique dont le but est de mieux appréhender l’histoire d’Arles, les premiers temps de la création de la colonie, les modes architecturales et décoratives de cette période. Je coordonne le travail de l’équipe constituée de professionnels (Alain Genot et Julien Boislève) et de bénévoles, et parfois d’autres spécialistes que je sollicite pour venir ponctuellement sur le terrain pour faire des relevés topographiques, photogrammétriques, des observations géomorphologiques ou architecturales… et je veille également au bon fonctionnement de la vie du chantier (approvisionnement en eau, courses, etc.).

Étant donné qu’il y a plusieurs postes de travail, je fais le tour des équipes au fur et à mesure de la journée pour répondre aux questionnements, veiller à leur formation et vérifier que le travail effectué correspond bien aux indications données. Les bénévoles et étudiants apprennent sous ma direction à enregistrer des données archéologiques en remplissant des fiches US (unité stratigraphique), en réalisant des clichés, en consignant le mobilier récolté ou en réalisant des relevés altimétriques. Les relevés des coupes stratigraphiques ont été confiés à Alain Genot tandis que le relevé topographique a été confié à un collègue du CNRS (Vincent Dumas).

L’enregistrement des données de fouille est une étape fondamentale puisque la fouille reste un acte de destruction ; à chaque coup de truelle on détruit une page de l’histoire. On compense cette destruction par la documentation : description des niveaux archéologiques (texture de la terre, éléments constitutifs, lectures altimétriques…). Lorsque j’en ai le temps, je participe bien évidemment à la fouille. La fouille peut nécessiter l’emploie de la pioche, du piochon, de la truelle, de la spatule ou plus rarement du scalpel. On adapte l’outil au niveau archéologique sur lequel on est en train de travailler.

Et dans le musée ?

Mon travail au musée consiste à étudier les vestiges archéologiques trouvés lors de la fouille. Je reprends les données consignées sur le terrain pour les enregistrer informatiquement et les compléter. Ainsi, les photos collectées sont enregistrées dans une base de données de même que les fiches d’unité stratigraphiques créées sur le terrain. J’encadre le nettoyage du matériel archéologique avec l’équipe de bénévoles. Je confie pour étude le matériel archéologique à des spécialistes que j’ai sollicités pour contribuer au programme de recherche en cours : spécialistes du verre, de la céramique, des monnaies, des objets en os et en métal, des placages de marbre, des éléments architecturaux, etc. Je sélectionne avec les conservateurs les objets qui nécessiteraient d’être restaurés. Je rédige le rapport de fouille, prépare des communications pour le grand public ou pour des colloques, rédige des articles. J’accueille parfois des étudiants et des chercheurs qui ont besoin de consulter les archives des fouilles arlésiennes. Il n’y a pas vraiment de journée type !

Votre travail dans la mission d’Arles est-il particulier par rapport aux autres activités que vous avez pu avoir ? En quoi ?

Mon travail au musée d’Arles s’inscrit dans la continuité des missions que j’ai assumées précédemment. Ainsi, pour la Maison des sciences de l’homme (Paris), je réalisais des volumes de la collection « Carte archéologique de la Gaule », dont le but est de recenser par département et/ou par ville le patrimoine archéologique (660 av. J.-C. – 600 apr. J.-C.). J’ai réalisé un travail semblable pour le département du Jura, de l’Aveyron, pour les villes de Marseille, de Nice et d’Arles. Cela m’a permis de travailler en équipe puisque, pour coordonner ces missions, je sollicitais des spécialistes de divers domaines. Mon travail actuel me permet à nouveau de réaliser un travail d’équipe mais dorénavant sur le terrain. J’ai désormais les moyens et le temps d’approfondir les choses et non de les survoler.

Vous exercez votre métier depuis combien de temps ?

Titulaire d’un doctorat depuis 2001, j’exerce ma profession depuis cette date.

Comment l’avez-vous découvert ?

J’ai été attirée par l’archéologie très tôt. Enfant, lorsque je me promenais dans les champs et que j’y voyais des vestiges (éclats de poterie ou murs détruits), je m’amusais à imaginer les causes de la destruction des maisons.

Quelles ont été vos études ? Avez-vous fait du latin et du grec ?

J’ai passé une maîtrise d’histoire de l’art et d’archéologie à Tours, puis, voulant me professionnaliser, je me suis lancée dans un DESS d’archéologie à Lyon. À l’issue de ce DESS, on m’a proposé de poursuivre en thèse avec la possibilité d’obtenir une bourse dans la mesure où je réalisais de manière concomitante un des volumes de la collection « Carte archéologique de la Gaule ». Je me suis donc consacrée à celui du Jura, et ma thèse a porté sur l’occupation humaine dans le Jura, de la protohistoire au haut Moyen Âge. À l’issue de mon doctorat soutenu à l’université de Lyon, je suis allée m’installer à Aix pour me consacrer à la carte archéologique de la ville de Marseille. Je n’ai jamais fait de grec, mais du latin oui.

Combien êtes-vous en France à exercer cette profession/spécialité ? Est-elle menacée ?

J’ignore, je l’avoue, le nombre d’archéologues en France. Cette profession n’est pas menacée dans la mesure où le patrimoine est protégé par un système législatif qui interdit la destruction de vestiges archéologiques et oblige à mener des fouilles. À mon humble avis, la difficulté à l’avenir concernerait non pas l’archéologie préventive mais l’archéologie programmée, qui répond non pas à des nécessités de travaux mais à une problématique de recherche demandant des financements qui, en période de restriction budgétaire, sont à la baisse.

Est-ce un métier ou une passion ?

Il s’agit d’un métier puisqu’il nécessite un savoir-faire qui ne s’improvise pas, mais bien entendu c’est aussi une passion. On ne peut l’exercer sans passion. Il s’agit d’un métier prenant, physique, qui demande un investissement total et une énergie considérable que l’on est prêt à mobiliser parce que la passion nous anime : l’envie d’apprendre, de comprendre, de découvrir, d’être surpris.

Quelles sont les qualités qu’il faut avoir pour l’exercer ? L’intuition est-elle importante ?

La principale qualité est la patience puisque c’est un travail de longue haleine qui nécessite de respecter un protocole de fouille et d’enregistrement. Pour répondre à une question, le cheminement est souvent long. La fouille ne suffit pas ; c’est l’étude post-fouille qui fournit des indices qui, confrontés les uns aux autres et comparés avec ce qui a été trouvé ailleurs, permettent d’éventuellement répondre au questionnement initial. Cela nécessite également une ouverture d’esprit et une capacité à travailler en équipe puisqu’un archéologue seul ne peut comprendre l’intégralité d’une fouille ; il a besoin de travailler avec plusieurs spécialistes. C’est la confrontation de toutes ces compétences qui est enrichissante et permet de proposer des conclusions.

Quels sont les meilleurs moments que vous ayez vécus durant cette mission ?

Le moment le plus touchant a été celui où le premier visage de l’ensemble mégalographique a été dégagé. L’impression de redonner vie une femme qui a vécu 2 000 ans auparavant. Un œil est apparu, puis son visage.

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Cliché M.-P. Rothé – MDAA-CD13 / Inrap.

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Cliché M.-P. Rothé – MDAA-CD13 / Inrap.

Quelles sont les découvertes les plus intéressantes que vous ayez faites à Arles ?

La découverte la plus intéressante est représentée par le monument public découvert cette année à côté de la Maison aux enduits peints, en cours de fouille. Cette découverte renouvelle notre connaissance sur l’émergence de la ville romaine, dont on ne soupçonnait pas jusqu’alors qu’elle s’était développée de manière si précoce sur la rive droite du Rhône.

Que reste-t-il à fouiller ? Pensez-vous qu’il y aura d’autres découvertes ?

La mission de cette année s’achève. L’an prochain, nous reviendrons pour achever la fouille de la cour puisque nous n’avons pas encore atteint son sol. Nous avons également mis au jour la trace d’un impluvium et d’un puits qu’il reste à fouiller. Le terrain de la Verrerie n’a pas été entièrement exploré ; nous pourrions encore y retourner plusieurs dizaines d’années, d’autant plus que l’observation d’une tranchée a révélé la présence d’un monument public précoce se rattachant probablement à la période tardo-républicaine. Néanmoins, 2017 sera l’ultime campagne, car l’étude et la publication du site et des enduits peints récoltés reste à mener.

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