Traversez le mois de décembre avec les miracles des Anciens et des Modernes !
Du 1er au 24 décembre, découvrez chaque jour un extrait miraculeux d’un auteur antique ou un texte original d’un philologue moderne.
L’expression, deux fois présente (en 1551 et 1556) sous la plume du lettré de la Renaissance Barthélémy Aneau, renvoie au mouvement d’ « illustration » (au sens de « rendre illustre ») de la langue française préconisé en particulier par Du Bellay dans sa Défense de 1549. Si pour Aneau, on ne saurait se contenter de « Greciser, et Latiniser, en Françoys », nombre de ses prédécesseurs, contemporains et successeurs revendiquent et célèbrent eux leur recours au Latin, mais également au Grec, pour féconder l’idiome national en constitution.
Du côté des écrivains, cela va ainsi de Rabelais, qui chante dans le Pantagruel son époque, où « les langues [sont] instaurées, Grecque sans laquelle c’est honte que une personne se die scavant », dont l’ex-libris est ΤΥΧΗ ΑΓΑΘΗ ΞΥΝ ΘΕΩ (« À la Bonne Fortune avec Dieu ») et qui prête à Frère Jean dans son Gargantua un équivalent latin de cette formule (« tempore et loco prelibatis »), à Montaigne qui évoque le Latin comme la langue « mienne maternelle », en passant par Ronsard lequel, selon le même B. Aneau « se glorifie avoir amené la lyre Grecque, et Latine en France ». Autant dire que c’est en total connaissance de cause que le fond linguistique gréco-romain vient innerver à chaque fois le parler et, peut-on dire, le style, de ces piliers de la littérature française.
Geste capital dans l’humanisme, encouragée alors par la couronne de France, et qui connaît avec Etienne Dolet son « manifeste » en 1540, la traduction est également pour beaucoup dans cet enrichissement. La prose française surtout se nourrit du travail de « sçavant[s] translateur[s] » (expression utilisée, de façon générale, par la Défense et illustration de la langue française) comme Claude de Seyssel, B. Aneau toujours, Pierre Saliat, Blaise de Vigenère, ou encore Jacques Amyot. Ce dernier sera reconnu par la postérité par avoir posé les premiers jalons du français « classique », soit avoir contribué à stabiliser la langue alors en vigueur, par l’emploi de tours et de structures souvent calqués sur le Grec (binômes synonymiques, période phrastique…). On comprend alors que déjà Montaigne ait pu voir en Amyot le meilleur des écrivains et que ses traductions, de Plutarque notamment, lui soient apparues comme un véritable salut : « Nous autres ignorants, étions perdus, si ce livre ne nous eût relevés du bourbier : [grâce à lui] nous osons à cette heure et parler et écrire ». S’il y a un « génie de la langue française », nul doute donc qu’il doive son existence aux échanges entretenus de façon privilégiée avec ses pairs hellène et romain. Et s’il y a ici un « miracle », il tient à n’en pas douter à cet accord et cette union harmonieuse des langues.