Zénon ! Cruel Zénon ! Zénon d’Élée !
M’as-tu percé de cette flèche ailée
Qui vibre, vole, et qui ne vole pas !
Le son m’enfante et la flèche me tue !
Ah ! le soleil… Quelle ombre de tortue
Pour l’âme, Achille immobile à grands pas !
Voilà comment le subtil Paul Valéry reliait deux des grands paradoxes de Zénon d’Élée. Si vous voulez vous entraîner à réciter cette strophe du Cimetière marin, vous pouvez revoir la vidéo ici. Ce philosophe est d’une importance primordiale puisqu’Aristote lui attribue l’invention de la dialectique, c’est-à-dire, au sens éléate du terme, non seulement savoir manier la contradiction, mais c’est être capable de tenir en même temps deux discours parfaitement contradictoires.
C’est pourquoi Zénon a reçu de Timon le surnom d’Amphotéroglosse (à la double langue). De la dialectique au dialogue, il n’y a qu’un pas. Écrire des dialogues, c’est d’abord se mettre en scène soi-même face à un interlocuteur dont on invente le propos contraire. Sans doute, en plus de la dialectique, Zénon allait-il livrer en héritage à Platon le modèle du dialogue.[1]
Quant au concept d’unité, il y a justement deux manières assez contradictoires de l’envisager. L’unité est-elle basée sur ses parties ou au contraire l’unité est-elle un tout indivisible, sorte d’atome primitif d’où les nombres se génèrent ? Comme l’explique Alain Badiou, les Grecs ont opté pour cette deuxième voie :
« Les penseurs grecs du nombre l’ont rapporté à l’Un, lequel, comme on le voit encore dans les Éléments d’Euclide, n’est pas considéré par eux comme un nombre. Ce qui dérive de l’être supra-numérique de l’Un est l’unité. Et ce nombre est une collection d’unités, une addition. Sous-jacente à cette conception, il y a la problématique qui va des Éléates aux néoplatoniciens, et qui est celle de la procession du Multiple à partir de l’Un. Le nombre est le schème de cette procession. »[2]
À l’inverse, la mythologie égyptienne fait de l’unité la somme de ses parties, comme le montre l’histoire de l’œil d’Horus. Précisons néanmoins qu’il ne s’agit là que d’une interprétation de l’Oudjat, rien n’assurant strictement que cette symbolique soit tout à fait pertinente. Quoi qu’il en soit, elle permet de se représenter d’une autre manière le paradoxe d’Achille et la tortue.
En route pour l’épisode 5 !
Les nombres peuvent-ils être des formes géométriques ? Évidemment ! C’est même grâce à des astuces géométriques que les grecs, notamment les pythagoriciens, parvenaient à faire nombre de calculs. D’ailleurs, pour eux, les nombres représentent bien plus :
« Selon Philolaos, la grandeur mathématique à trois dimensions est contenue dans le nombre 4, la qualité et la couleur de la nature visible dans le nombre 5, le principe vital dans le nombre 6, l’intellect, la santé et ce qu’il appelle la lumière dans le nombre 7. Après quoi, il ajoute que l’amour, l’amitié, la ruse et l’intellection ont conférés aux êtres par le nombre 8. »[3]
Mais le nombre le plus important pour les pythagoriciens est le nombre 10 car c’est un nombre triangulaire ! En plus de cela, il possède bien des propriétés…
[1] Cf. Jean-Paul Dumont, Les écoles présocratiques, Gallimard, Folio, 1991, p. xxxvi.
[2] Alain Badiou, Le Nombre et les nombres, Seuil, Paris, 1990, p. 17.
[3] Pseudo-Jamblique, Théologoumènes arithmétiques, éd. De Falco, 74, 10.