Entretien ludique avec Julie Wojciechowski

24 juin 2024
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À l'occasion de la parution de Chez les Dieux de l'Olympe, le premier cahier de vacances de la collection Les Petits Grecs, Julie Wojciechowski nous fait l'honneur d'un entretien exclusif pour nous emmener à la rencontre de la langue et des divinités grecques.

 

La Vie des Classiques : Comment vous présenter en quelques mots ?

Julie Wojciechowski : Je vais fêter mes vingt ans d’enseignement, durant lesquels je n’ai eu de cesse de me questionner et d’apprendre au contact des élèves. Une série d’heureuses rencontres m’ont à nouveau menée vers le chemin des langues anciennes, et j’en ai épousé la cause. Je prends plaisir à observer la vivacité de mes collègues de lettres classiques en termes d’inventivité, d’énergie pour mettre à l’honneur leurs enseignements, et je me réjouis de pouvoir les diffuser et les mettre en valeur. Je crée aussi des contenus, et les ai partagés d’abord au sein de groupes d’entraide entre professeurs, puis dans le cadre associatif.

 

L.V.D.C. : Que représente le grec ancien pour vous ?

J. W. : Je ne l’ai pas rencontré dans ma scolarité et quand j’aurais pu avoir l’occasion d’en faire en hypokhâgne, je ne m’y suis pas sentie autorisée. Ce devait être un autre monde, un autre alphabet, je n’étais pas « initiée ». Pourtant il y avait quelque chose d’attirant dans ce cours que je guettais parfois, l’oreille tendue, dans le couloir. Et puis ce fut une véritable rencontre le jour où j’ai cessé d’écouter cette petite voix limitante. Je suis autodidacte dans plein de domaines, et terriblement laborieuse : passer le cap de l’alphabet ne fut aucunement un labeur mais plutôt une joie. Les mots étaient en fait des sons connus, une part d’héritage qui était sur le pas de la porte, et je l’ai accueillie.

C’est sans doute pour cela que j’ai tant à cœur de le diffuser, notamment aux plus jeunes. Je me dis que si le grec ne vient pas à eux d’abord, peut-être qu’ils ne s’autoriseront pas à l’aborder, et qu’ils rateront le rendez-vous.

 

L.V.D.C. : Vous publiez, dans la collection « Les Petits Grecs », un ouvrage singulier : un cahier de vacances ! Comment est né ce projet éditorial ?

J. W. : Oh, c’est une anecdote amusante ! Les premiers dessins et les premières activités ont été griffonnés, justement, sur la route des vacances, il y a deux étés. J’avais d’ailleurs partagé l’idée sur les réseaux avec le hashtag #cahierdevacances pour mes collègues. Or l’été dernier, Laure de Chantal, à nouveau une rencontre déterminante, semblait attendre la même chose que moi pour la collection de La Vie des Classiques qu’elle dirige. Je lui ai remis ce que nous avons appelé « la boîte de Pandore » qui fourmillait de jeux et de mots, et non de maux ! Elle m’a fait confiance à plusieurs titres, notamment sur le fait que le cahier est abondamment illustré par mes soins. Tout était à créer car cette forme éditoriale était innovante, chez les Petits Grecs, et nous pouvons dire aujourd’hui que nous sommes fières du résultat.

 

L.V.D.C. : Est-il en lien avec l’exclusivité numérique Le b.a.-ba du grec ancien. Lire et prononcer en neuf étapes publié sur notre site il y a quelques mois ?

J. W. : L’idée du b.a.-ba m’est venue plus tard, alors qu’il est paru avant ! J’enseigne l’option Français et Culture Antique en 6ème et interviens en primaire dans le cadre de la liaison école-collège, et je voulais créer un support qui permette en un temps très court de donner aux élèves l’accès à la lecture de petits textes. Je pars du principe que celui qui veut apprendre une langue a envie d’accéder rapidement au sens, d’où l’écriture de textes très courts dans lesquels j’aborde des personnages connus comme Cronos, Aphrodite, ou des thèmes comme l’école, la maison, le stade.

Je n’invente rien en faisant du b.a-ba du grec ancien, cependant je le voulais express. En neuf courtes étapes, l’ensemble de l’alphabet est passé en revue de manière progressive. J’ai fait des choix pragmatiques, car je ne m’adresse pas à de futurs traducteurs à ce stade, mais à toute personne qui souhaite passer le cap de la lecture de l’alphabet et gagner un peu en fluence : je fais le pari qu’elle s’arrêtera devant une inscription grecque dans un musée et parviendra à la lire ! Parmi ces choix, les mots sont forcément imagés. Exit le vocabulaire fréquentiel, mon but est de décrire des images que j’ai dessinées. Le mot et l’image ne font qu’un, c’est indispensable pour tous ceux qui enseignent les langues aux plus jeunes. De plus, les mots ont quasiment tous une empreinte forte dans le français : j’ai d’ailleurs fait un glossaire étymologique qui recense la plupart des racines. La progressivité tient dans le fait que tout l’alphabet n’est pas embrassé d’un coup, mais par ajouts successifs, puis brassé.

 

L.V.D.C. : La quatrième de couverture annonce : « S’amuser en s’instruisant devient possible grâce à ce cahier de jeux qui permet d’une manière innovante et ludique de (re)découvrir l’alphabet grec ancien… ». À qui est destiné ce cahier de vacances ? Petits joueurs ou grands joueurs ? Débutants ou initiés ?

J. W. : J’ai destiné le cahier de vacances au public le plus large possible. Je l’imagine partagé au sein d’un même foyer, saisi pour se défier sur un quiz ou sur une énigme, colorié par les plus jeunes que l’on pourrait accompagner pour leur présenter cette galerie de portraits.

Avec ou sans l’aide du tableau de transcription phonétique et du glossaire qui se trouvent à la fin de l’ouvrage, il est conçu pour tester sa connaissance d’un alphabet qui fait partie intégrante de notre langue sans que l’on ne s’en rende forcément compte : toutes les lettres sont employées par les scientifiques (la plus célèbre étant Pi), le nom des lettres a donné nombre de noms communs, du delta du Nil au mâle alpha de la meute… Les notices sur des dieux en introduction de chaque chapitre donnent de précieux indices si l'on a besoin de se rafraichir la mémoire.

Beaucoup de jeux peuvent être faits par déduction, et montrent l’héritage du grec ancien dans notre langue.

Bref, au gré des envies, à plusieurs niveaux, partout, tout le temps !

 

L.V.D.C. : En vacances chez les dieux de l’Olympe : tout un programme ! Comment avez-vous choisi le sujet de ce cahier de vacances ? Comment est-il scénarisé ?

J. W. : C’est un des thèmes qui m’est venu spontanément. Les dieux de l’Olympe sont indispensables à la mythologie grecque. Les Romains ont largement repris le panthéon grec, dans cette assimilation typique des religions polythéistes. Les Olympiens sont aussi une galerie de portraits truculents, une grande famille qui dysfonctionne, comme beaucoup de familles au final… La matière est prolifique, presque trop, il a fallu faire des choix.

Pour le scénario, c’est une idée de Laure de Chantal, de diviser le cahier en 14 chapitres, un par dieu, ce qui m’a fait repenser l’écriture pour raconter une histoire, et elle a eu raison ! La rencontre avec chaque divinité prend beaucoup mieux ! Encore plus originale, l’idée qu’elle a eue de proposer au lecteur de passer 14 jours en compagnie des dieux, c’est-à-dire tout un programme de vacances.

 

L.V.D.C. : Quels sont les types de jeux que vous proposez ? S’agit-il de jeux antiques ?

J. W. : Non, non, ce ne sont pas des jeux antiques mais des jeux dont la matière est l’Antiquité. Hormis la constante du chapitre qui se termine par un quiz au nom évocateur et par un coloriage, tous les jeux sont uniques, tout simplement parce la plupart sont scénarisés de façon à raconter l’histoire des dieux, pour mettre en exergue des éléments de culture antique, ou l’histoire des mots.

Les jeux sont très variés. Ils prennent la forme d’énigmes, de devinettes. Nous jouons avec des codes secrets, des lettres mélangées, la recherche des erreurs, d’intrus ou de mistigris, le vrai ou faux...

Nous jouons aussi avec l’alphabet grec lui-même (dominos, association des lettres, pixel arts, points à relier, labyrinthe), et avec le lexique et l’étymologie (jeux sur l’orthographe, mots mêlés, mots cachés, mots croisés).

En bref, des jeux scénarisés au fil des rencontres avec les personnages ou les œuvres, et des jeux connus de tous. J’invite même le lecteur à s’approprier des vases, à compléter les frises, et à colorier la centaine de dessins qui animent les pages.

 

L.V.D.C. : Fidèle à ses racines linguistiques, le cahier permet de jouer (παίζω, paizô) tout en apprenant (παιδεύω, paideuô). Quelles connaissances permet-il d’acquérir ou de réviser ?

J. W. : Le lecteur, même non initié, aura vu, dans ce rapprochement que vous faites entre παίζω (je joue) et παιδεύω (j’apprends), la racine παῖς commune aux deux termes qui signifie « enfant ». Jouer, c’est littéralement « faire l’enfant », et apprendre, c’est littéralement « former l’enfant ». Quel bonheur de retrouver l’enfant qui est en soi ! Celui qui est naturellement curieux, et qui fait du jeu le premier terrain de ses apprentissages !

Il y a trois grands axes à ce cahier : le lexique et l’étymologie, l’art et la culture, et l’alphabet grec. C’est un peu sa triple colonne vertébrale, ses trois piliers, si l’on veut rester dans notre thématique.

 

L.V.D.C. : Votre cahier permet également « d’approfondir son français, de connaître l’histoire des mots et même de nombreux mythes », ce qui fait bien sûr écho au crédo de la collection. Comment cela se matérialise-t-il au fil des jeux ?

J. W. : Tout à fait, c’est le cadeau des langues anciennes. Souvent je tends à mes élèves une main fermée. Je leur dis qu’elle contient tel mot en grec ancien.  Puis je l’ouvre pour mimer sa libération, qui promet de libérer avec lui tout un tas de mots en français. À eux de saisir au vol tous ces mots, comme autant de nouveaux bagages. C’est un vrai plaisir de les voir s’émerveiller sur quelque chose qu’ils avaient déjà en eux et qu’ils garderont pour toujours.

D’ailleurs, si je vous donne le mot chronos (le temps), vous me répondez « chronomètre » ou « chronophage », et là, vous êtes déjà en train d’interroger les racines -mètre et -phage, n’est-ce pas ?

On dit qu’il n’y a que 15% des mots qui viennent du grec ancien dans notre langue. Pourtant, on se rend compte en parcourant le cahier que ces mots sont incontournables.

 

L.V.D.C. : Près d’une centaine de dessins personnels servent de support à ces jeux (coloriages, frises, points à relier…), tous inspirés des vases grecs. Pourquoi ce choix ?

J. W. : Il y a deux questions ici : pourquoi des dessins, et pourquoi des dessins de vases grecs ? D’un côté, je voulais que des dessins inondent le cahier pour lui donner une forme de gaité, pour alimenter le scénario de nombreux jeux, pour être un support de jeu, d’observation, d’appropriation… D’un autre côté, les vases grecs sont une source intarissable de la mythologie. Les Grecs y représentaient les mythes, y mettaient en scène les héros et les dieux. Les dessins d’après les vases grecs forment une cohérence visuelle : nous nous imprégnons d’une tranche d’histoire de l’art.

Je n’ai d’ailleurs pas pu m’arrêter dans cette (re)découverte, et je continue cette exploration par le dessin sur mon compte Instagram (@deliberando_perit_occasio).

 

L.V.D.C. : D’un point de vue didactique, comment ce cahier pourrait-il s’intégrer à un cours de Langues & Cultures de l’Antiquité au collège ou au lycée ? 

J. W. : Je sais que des collègues l’envisagent déjà comme une respiration dans le cours de grec. On teste sa culture, pour ensuite creuser les récits mythologiques qui accompagnent les dieux de l’Olympe. On se met au défi de l’alphabet grec : dans la phase d’initiation et de découverte, il est intéressant de manipuler. L’étymologie et la réflexion sur le lexique sont un enjeu majeur du cours de LCA : ce cahier comprend autour de 300 mots grecs, ce qui fait un beau bagage, qui a d’autant plus de chance de rester s’il est associé au français.

Même les professeurs des petites classes, parmi celles dans lesquelles j’interviens, souhaiteraient que le cahier de vacances les accompagne l’année prochaine. Nous n’imaginons pas à quel point la mythologie, grecque notamment, est appréciée chez les enfants et leurs professeurs des écoles.

Quelle épaisseur, quelle couleur, quelle saveur, quelle mélodie nouvelle, prennent les mots quand on peut en donner l’origine et l’histoire. J’aime à transmettre la plasticité des mots : c’est un terrain de jeux et de manipulations.

 

L.V.D.C. : Vous êtes notamment connue pour votre engagement et votre investissement dans la promotion des langues & cultures de l’Antiquité, notamment via les associations Arrête ton char et Nunc est bibendum : est-ce important pour vous d’être dans l’action, au contact des enseignants et du grand public ?

J. W. : Tous ceux qui enseignent les Langues & Cultures de l’Antiquité sont, de fait, dans l’action, car il faut sans cesse convaincre que cet enseignement de complément est essentiel, qu’il faut obtenir le choix des élèves, un choix éclairé. Ce sont des femmes et des hommes qui, dans le cadre de leur métier, outrepassent leur mission, donnent de leur temps, de leur énergie, de leur passion et souvent de leur argent. Rien que pour ça, ils devraient être remerciés. Les enseignants de LCA forment une grande famille, car ils sont souvent seuls dans leur établissement : l’entraide est primordiale, surtout en ces temps de réforme.

Mon engagement passe, grâce aux medias de ces associations, par la diffusion au grand public d’une image renouvelée de la pédagogie, par la mise en avant du rayonnement de la culture antique et par une volonté de la rendre accessible au plus grand nombre. Le grand public doit savoir que les pratiques pédagogiques en LCA ne cessent d’évoluer, de se réinventer, que les Langues & Cultures de l’Antiquité sont plus que jamais d’actualité. Les langues anciennes sont indispensables, nous devons nous rendre in-dispensables. Est-ce que vous imaginez une société qui se passe de ses Humanités, de son humanité ?

 

L.V.D.C. : Pour finir sur une note de fantaisie : avec quelle divinité pourriez-vous passer deux semaines de vacances sur l’Olympe ?

J. W. : Héphaïstos. S’il est sur l’Olympe, c’est qu’il y a été appelé, alors que d'ordinaire, il passe son temps dans sa forge. On pourrait croire qu’il n’est pas de premier plan, voire qu’il est le vilain petit canard, ce dieu boiteux, mais il est décisif, il libère, il fait et défait des destins, il est l’ingénieur à l’ouvrage et l’artisan dont dépend le sort de nombreux dieux et héros. J’ai raconté quelques anecdotes à son sujet dans les corrigés du cahier de vacances. Ceux-ci comprennent de nombreuses gloses, car je ne voulais pas que le lecteur reste sur sa faim après avoir résolu les énigmes, mais qu’il puisse poursuivre le chemin avec les divinités. Je vous invite à lire les extraits choisis qui décrivent les œuvres d’Héphaïstos : elles sont dignes d’un récit de science-fiction. Il est fascinant !