Amis des Classiques risquons !
Risquons-nous, tout d’abord à (re)lire en entier le Phédon, chef-d’œuvre absolu apte à retourner d’un coup, d’une seule phrase, le cœur, l’âme et la pensée de n’importe quel lecteur quel que soit son âge ou son époque. A l’extrême fin du dialogue et donc à l’extrême fin de la vie de Socrate, celui-ci, enfermé en prison et contraint à se donner la mort en buvant la cigüe, rappelle à propos des mythes que « nous devons tout faire en vue de participer, dans cette vie, à la vertu et à la pensée : le prix de nos efforts est beau, et grande notre espérance. Il ne convient pas, sans doute, à un homme sensé de soutenir que ces choses sont précisément comme je l’ai dit. Mais qu’il en soit ainsi, ou à peu près ainsi, de nos âmes et de leurs demeures, puisqu’il est évident que l’âme est immortelle, c’est un risque, à mon avis qu’il convient d’affronter, et qui vaut la peine, quand on croit à l’immortalité. Ce risque, en effet, mérite d’être couru. » (Phédon 114 cd)[1].
Ce « beau risque », καλός γαρ ό κίνδυνος, nous amène également sur le chemin de la simple subtilité de la langue grecque. Kίνδυνος en effet est associé à l’univers du jeu, qu’il ait pour étymologie « pousser le pion » comme le propose Chantraine dans son Dictionnaire étymologique de la langue grecque ou « faire le coup du chien » aux dés. Il se traduit également par « danger », soulignant le fait que les conséquences du risque sont souvent funestes. Il traduit enfin le léger décalage qu’il existe entre l’humain et la certain, le risque qu’il y a à agir et à penser, la déception et l’espoir que nous trouverons peut-être au bout de chaque décision comme au terme de toute une vie.
L'existence est une traversée périlleuse, suggère Socrate, qu’il nous faut faire sur une frêle embarcation. Sur ce radeau qu'est la philosophie — raison et foi, logos et mythe — nous arriverons à bon port : καλός γαρ ό κίνδυνος.
Amis des Classiques risquons, risquons de vivre et de penser, masqués mais sans fard.
[1]παν ποιεΐν ώστε αρετής και φρονήσεως έν τω βίω μετασχεΐν · καλόν γαρ το άθλον και ή έλπίς μεγάλη. Το μεν ούν ταΰτα διισχυρίσασθαι ούτως εχειν ως εγώ διελήλυθα, ού πρέπει νουν έχοντι άνδρί " ότι μέντοι ή ταυτ' εστίν ή τοιαΰτ' άττα περί τας ψυχας ημών και τας οικήσεις, έπείπερ άθάνατόν γε ή ψυχή φαίνεται ούσα, τοΰτο και πρέπειν μοι δοκεΐ και άξιον κινδυνεΰσαι οίομένω ούτως έχειν ' καλός γαρ ό κίνδυνος.