Amis des Classiques, place aux Femmes savantes !
Laissons la voix à la première d’entre toutes, Marguerite Yourcenar :
« Il serait très faux de tirer des notations qui précédent une notion d’infériorité de la femme grecque, basée sur nos propres vues de la condition féminine. Le peuple qui a donné à l’intelligence le visage d’Athéna, au courage et à la fidélité celui d’Antigone, à la vision prophétique celui de la Cassandre d’Eschyle, n’a pas méprisé la femme » (Préface à La Couronne et la lyre, Poésie/Galllimard, Paris, 1984).
Certes, les sociétés antiques n’ont en rien échappé aux préjugés, voire en ont crée quelques-uns. Grecs et Romains, qui pour nous ont tout inventé, ont été nos précurseurs et des initiateurs en matière de haine de la femme : Pandore, cadeau empoisonné de tous les dieux, est selon Hésiode un « malheur aux hommes qui mangent le pain. »
Mais le paradoxe veut que Grecs et Romains ont donné des visages féminins à absolument toutes les formes d’intelligence : l’intelligence créatrice par le biais des muses dont les artistes ne sont que les vaisseaux, l’intelligence rusée par le visage disparu de Mètis engloutie par Zeus et l’intelligence sage sous les traits triomphants d’Athéna, déesse pensive et toute puissante dont le poète Callimaque nous dit qu’elle seule partage avec Zeus le pouvoir de tout accomplir (Callimaque, Hymne V), et de tout faire s’accomplir d’un seul mouvement de tête. C’est à elle seule aussi que Zeus confie son égide, le bouclier sacré.
Et les autres divinités, d’Aphrodite aux Parques qui filent les destins, sont celles qui font tourner la planète grecque. Pour ne citer qu’un exemple, lorsqu’il s’agit de décider qui va gagner la guerre de Troie, Zeus s’en remet à la déesse de la Justice. La mythologie donne également un rôle de choix à ses héroïnes. Contrairement à nos contes de fées, pour les femmes de la mythologie, l’accomplissement, la fin idéale, le but de l’histoire n’est pas « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Le nerf de la guerre n’est ni d’épouser un prince ni d’avoir une progéniture nombreuse (cf. Niobé). Loin d’un héroïsme rose-bonbon, ou de la victimisation plaintive, dans la mythologie ce sont les femmes qui combattent des dragons (comme Médée), trucident des tyrans (comme Hécube), gouvernent les cités (comme Didon ou Pénélope), rivalisent avec les dieux (comme Niobé ou Méduse) et décident de l’avenir du monde (comme les Moires ou les Parques en latin). Venues de la nuit des temps, ces figures féminines, une fois dépoussiérées des clichés, nous offrent aujourd’hui autant de modèles merveilleux, fondamentaux et riches, motifs de rêveries et de réflexions, en tout cas à garder en mémoire et à transmettre aux femmes et aux hommes de demain.
Il n’est donc pas étonnant que l’Antiquité rêvée, l’Antiquité telle que l’a sublimée l’histoire, ait fourni une place à part, un locus amoenus, un lieu idéal, aux femmes désireuses de s’instruire, se rangeant ainsi sous l’égide d’Athéna.
Amis des Classiques, d’Ariane à Psyché, de Diotime à Jacqueline de Romilly, célébrons les Femmes savantes : qui peut croire qu’un jour y suffira !
Friedrich Horschelt, Ariane à Naxos, 1853 |
Marguerite Yourcenar, par Bernhard De Grendel, 1982 |