Amis des Classiques, écoutons la sagesse du corps !
Pour éviter qu’ils ne s’inquiètent, le médecin conseille souvent à ses patients : « Surtout ne regardez pas sur Internet ». En catimini il pourrait ajouter : « Regardez plutôt dans un dictionnaire de grec ! » C’est la très jolie leçon que nous donne ce mois-ci Guy Lacaze, dans ses Mots Grecs de la médecine, merveille d’érudition joyeuse. S’il en fallait une, voici une bonne raison d’apprendre le grec et le latin : c’est la langue des dieux gréco-romains que parle notre corps, des méninges aux bouts des mycoses ongulaires. Nous ne sommes pas immortels et pourtant en nous sommeillent quantité de héros et de divinités de la mythologie : deux douces nymphes en corolle protègent la partie extérieure du clitoris, tandis que la déesse de l’Amour en personne veille sur le mont de Vénus, l’autre nom du pubis. Le plus célèbre des héros grecs, Achille, garde les tendons à l’arrière de nos pieds ; Iris, la messagère des dieux, donne à tout regard une expression singulière. La valeureuse Psyché qui brave les Enfers pour reconquérir Amour illumine d’une étincelle de courage l’âme ou l’esprit (la psyché) de chacun. Atlas, le puissant Titan qui porte sur ses épaule le globe terrestre, prête sa force à la première vertèbre du cou qui doit accueillir le poids de toute une tête.
Que vous le souhaitiez ou non, vous transportez avec vous un fidèle dictionnaire de grec et un autre de latin : votre corps. Le médecin le déchiffre pour connaître son histoire, les souffrances qui l’ont mené jusqu’aux symptômes (en grec « l’accident »). Il lit ses brûlures : ce sont tous les mots en -ite, otite, mot à mot « l’oreille qui brûle », la dermite (de derma, la peau), la cystite (de kustis, la vessie) ou arthrite (d’arthron, l’articulation). Il écoute ses douleurs : ce sont les mots en -algie, la névralgie par exemple, contre laquelle il prescrira un antalgique, un antidouleur. Il isole ses difficultés : ce sont les mots en dys-, dyspepsie (la digestion difficile) ; il accueille ses lenteurs, la bradypepsie, de bradys, « lent » en grec ; il cherche son usure : ce sont les mots en -ose, les névroses, l’arthrose ou la cyanose, lorsque la peau devient bleue sombre (kuanos en grec) parce qu’elle manque d’oxygène (de oxys, acide ; c’est le chimiste Lavoisier qui au XVIIIᵉ siècle donna ce nom car l’oxygène était présent dans certains acides). Il contient ses ruptures : ce sont les mots en -rragie, comme hémorragie (de haima, le sang). Enfin il recueille ses larmes : ce sont tous les mots en -rrhée, de rhéo, « couler », les rhinorrhées (écoulement du nez), les métrorrhées (règles abondantes) et les dysménorrhées (règles douloureuses). Il contient ses excès, les hypertensions, l’hyperesthésie, la trop grande sensibilité. Enfin, il essaye de combler ses manques, de l’hypoglycémie (le manque de sucre) à l’hypothermie (la froideur).
« Mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde » écrivait Camus ; a contrario bien les nommer, c’est en prendre soin, voire le guérir, et ce n’est pas un euphémisme (de eu, bien et phémi, dire).
Amis des Classiques, écoutons la sagesse du corps : il parle en grec et en latin !