
Amis des Classiques, saluons les nymphes !
Chaque année depuis la nuit des temps, la nymphe Chloris nous apporte le printemps. Mais qui sont les nymphes vraiment ?
Pour le savoir, déshabillons-les au préalable de l’accumulation de clichés qu’ont pu produire vingt-cinq siècles de tradition, a fortiori pour les nymphes en raison de leur apparence juvénile et féminine apte à exciter les fantasmes. Cette enveloppe corporelle, belle, nue, sensuelle et désirable n’est pas la seule. Les nymphes ne sont pas que de girondes créatures telles que des générations de peintres les ont représentées : elles sont des figures essentielles du polythéisme antique. Divines sans être immortelles, innombrables, elles vivent aussi longtemps que le lieu auquel elles confèrent un caractère sacré. Certains auteurs avancent le chiffre de 9620 de moyenne de vie, mais il ne faut pas y voir autre chose qu’une manière de signifier une très grande longévité.
Leur nom, νύμφη (numphè), vient d’une racine indo-européenne *sneubh liée à l’idée de « voile », suggérant tantôt l’idée de voiler et donc de ce qui est caché, tantôt l’idée de mûrissement, de passage vers une maturité plus grande, la mariée avançant de l’état de jeune fille à celui d’épousée. D’où ses multiples sens en grec exprimant en majorité une réalité féminine, quoique non exclusivement : jeune fiancée, larve d’insecte, bouton de rose en éclosion ou encore clitoris. Notons que le mot « nymphomanie » est une création moderne : Aristote utilisait le verbe νυμφιάω (numphiaô) pour décrire la frénésie amoureuse de certains chevaux !
Les nymphes naissent soit de Zeus (selon Homère), soit des gouttes de sang d’Ouranos. Dans les deux cas l’élément maternel est la nature fécondée par l’une des deux divinités. C’est pourquoi les nymphes représentent le recoin de nature dont elles sont l’émanation et les gardiennes : sources (Naïades), arbres (Dryades, parmi lesquelles les Grecs puis les Romains distinguaient les Hamadryades, les nymphes des chênes, et les Méliades, les nymphes des frênes, à l’origine des premiers hommes selon le poète Hésiode), montagnes (Oréades et Napées), fleuves, prairies et collines, chaque lieu-dit a sa nymphe, voire plusieurs qui marquent la divinité de l’endroit. Les nymphes sont tout du lieu qu’elles inspirent, d’où leur faculté de métamorphose, d’où aussi le sens récent de nymphe en entomologie, la nymphe étant chez quelques espèces à métamorphoses complètes, la forme intermédiaire entre la larve et l’adulte.
Figures de la continuité du vivant, elles relient mortels et immortels, dieux et humains, animaux, végétaux et minéraux, incarnant la cohésion de l’espace naturel grec. Insaisissables et souvent farouches face aux désirs masculins, elles pourraient même être vues comme des héroïnes de l’écoféminisme avant l’heure. Elles nous montrent en tout cas l’unité dans la pluralité du vivant, cette unité fondamentale permettant aux nymphes d’évoluer d’une apparence à une autre sans que l’espèce soit une barrière insurmontable.
Amis des Classiques saluons les nymphes, et aimons ces héroïnes pour notre temps !