Amis des Classiques, rêvons !
Contrairement à notre conception contemporaine qui fait du rêve un mouvement de repli soit sur une part de l’intériorité propre à chacun soit sur un souhait dénué de réalité, l’Antiquité propose une vision et une réflexion différentes, ouvertes : le songe est tourné vers les autres. Abolissant le temps et l’espace, il est un moyen privilégié, peut-être unique, de communication entre chaque occupant de la communauté du monde.
Dès le deuxième chant de l’Iliade, Zeus dépêche à Agamemnon οὖλον ὄνειρον, « rêve destructeur », tandis qu’Athéna dans l’Odyssée redonne courage à Pénélope, entre autres, via des rêves rassurants, ou bien envoie Nausicaa à la rencontre d’Ulysse. De même, c'est par le rêve que, dans l’épopée romaine, Énée le héros grec est enjoint de partir à la conquête de l’Italie. Le songe est alors le moyen de communication des dieux ou, pour le dire autrement, une manière pour le dormeur de s’ouvrir et de connaître quelque chose de plus grand et de mieux sachant que lui, de communiquer avec une forme de transcendance, une spiritualité ou un inconnu de ce monde qui le dépasse. Bien plus, le rêve permet de dialoguer avec les hommes du passé comme le raconte Cicéron dans un texte bouleversant, Le Songe de Scipion, où Scipion le défunt conquérant s’adresse à son descendant pour le faire bénéficier de sa connaissance et de son enseignement. Celui-ci est tourné vers l’avenir. C’est cette même fonction du rêve qui permet à Calpurnia, l’épouse de César, de recueillir dans la nuit l’assassinat qui est déjà tout prêt dans les l’esprit des meurtriers de son époux. Certes les charlatans et les faiseurs de fumisterie n’ont pas manqué de s’emparer, pour leur profit et au détriment des autres, des songes et de leur l’interprétation, mais il revient à l’Antiquité d’avoir montré le pouvoir du rêve et surtout d’avoir pensé le rêve non comme une quête de soi mais comme une quête d’humanité.
Amis des Classiques, croyons aux rêves qui nous relient aux autres et nous conduisent aux lendemains !