Amis des Classiques, soyons choux !
Vous voulez vivre vieux ? Kalé, frisé, fleur, chinois ou de Bruxelles, les magazines contemporains ne manquent pas de nous conseiller de mettre du chou dans nos assiettes. Ces conseils, qui semblent à la pointe de la diététique et qui ont connu un boum scientifique au début du XXIe siècle avec les études sur les gênes, remontent en réalité à une intuition venue de la nuit des temps. Les Grecs distinguaient, en effet, les « mortels » des « immortels », mais les dieux, loin de se voir comme immortels (ils ignoraient la mort), s’appelaient eux-mêmes « les senteurs », tandis que les humains étaient surnommés « les mangeurs ». Lorsqu’un poète inspiré par les Muses n’était pas à la hauteur, elles le qualifiaient de « mangeur » (brôtos en grec ancien). Le poète Hésiode en fait les frais, puisque lorsqu’il demande aux Muses de lui raconter la naissance du monde, elles commencent par lui dire « vous autres, pâtres, vous n’êtes que des ventres ».
Dans la mythologie grecque, contrairement à notre tradition judéo-chrétienne, la création de l'homme n'est pas centrale. Les humains étaient considérés comme les parents pauvres du vivant enfantés par Gaïa, la Terre. À tel point que le Titan Prométhée, pris de pitié pour ces êtres fragiles, décida de voler une étincelle de feu à Zeus pour les aider. Il espérait ainsi offrir aux humains ce don divin. Furieux, Zeus redoutait que les hommes, grâce à ce feu, ne cherchent à devenir des dieux eux-mêmes. Il décida alors de détruire l'humanité, mais Prométhée réussit à le convaincre de négocier. Si les hommes avaient reçu un attribut divin, il était juste qu'ils fassent des sacrifices en retour. Zeus accepta, pensant que cela justifierait l'existence de ces créatures peu respectables sinon inutiles que sont les hommes. C'est ainsi que, lors du premier sacrifice à Mêkôné, cent bœufs furent tués et cuits en grande pompe, destinés aux Olympiens. Les hommes, instruits par Prométhée, cachèrent les meilleurs morceaux sous les entrailles, laissant les os cuits dans la graisse de l’animal. Les dieux, séduits par l’odeur, choisirent les morceaux gras, mais furent déçus en trouvant seulement des os, mal dépouillés et sans viande. Depuis ce jour, les dieux se contentent de la fumée, tandis que les hommes savourent les morceaux cuits de l’animal qu’ils ont tué. Zeus décida alors de se venger. Il fit enchaîner le Titan au Caucase, et un aigle venait lui dévorer son foie chaque jour. Les hommes, pour leur part, furent condamnés à mourir et à nourrir la terre.
Ainsi, les Grecs voyaient dans leur manière de se nourrir non seulement un acte sacré, mais aussi une clé de leur humanité. C’est en souvenir de cet épisode que les hommes sont les « brôtoi », les mortels mangeurs de viande cuite, tandis que les dieux, les Immortels, se contentent de la fumée. C’est dire à quel point non seulement le fait de manger mais aussi la nature de la nourriture avaient de l’importance pour les Grecs, qui voyaient dans leur manière de se nourrir quelque chose de sacré et de déterminant dans ce qui faisait la particularité de l’être humain. Nous aurions tout à gagner, pour la santé du corps mais aussi pour celle de l’esprit, à remettre un peu, non du sucré ou du salé, mais du sacré dans notre façon de nous alimenter. Nous sommes, êtres vivants, nés pour consommer des êtres vivants, végétaux ou animaux, et non des substances transformées et chimiques.
Si les Grecs ont mis du sacré à leur menu et ont ainsi inventé la diététique, les Romains avaient, eux, une véritable religion de la gastronomie en général et du chou en particulier, proposant plus de deux cents façons de l’accommoder.
Alors si vous voulez, Amis des Classiques, prendre soin votre deuxième cerveau, l’intestin, tout en nourissant le premier, mangez du grec, du latin… et du chou !