Fabrice Butlen poursuit sa conversation en latin avec Luigi Miraglia, fondateur et directeur de l'Accademia Vivarium Novum.
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La transcription en français :
Académie Vivarium Novum. - Jeudi 20 août 2015.
F. B. - Vous avez commencé par enseigner dans les lycées publics en Italie. Comment s'est passée cette expérience?
A.M. - En vérité, j'ai eu beaucoup de chance. Sitôt que j'ai obtenu mon diplôme de fin d'études, j'ai pu passer les concours et les réussir. Aussi ai-je facilement trouvé un poste d'enseignement. J'ai même pu choisir mon lycée, il ne m'a pas été imposé, parce que j'avais un bon classement au concours. Que dire de plus?... J'ai eu un vif plaisir à échanger avec des élèves de cet âge, à avoir avec eux des conversations fécondes, à la faveur desquelles ceux-ci pouvaient accéder à la culture classique, et où je pouvais, moi, leur transmettre ce que je croyais avoir acquis. Ces rapports ont duré quelques années. Si ma mémoire est bonne, j'ai enseigné plus de douze ans au lycée.
F.B. - Ce n'est pas rien.
Aloisius. - Non, ce n'est pas rien, et j'ai pu y essayer les méthodes qui m'avaient tant aidé. Je me suis donc efforcé d'enseigner le latin à mes élèves d'une façon plus vivante, de les amener à lire les textes sans efforts excessifs, de les familiariser en profondeur avec l'esprit de ceux qui nous ont transmis ces grandes œuvres. Mais, petit à petit, j'ai compris que, dans les écoles d'aujourd'hui, il serait très difficile d'améliorer la situation. Ce qu'il y a de plus grave, c'est que les réformes scolaires, en Italie et en Europe, prévoient que les professeurs passent la plus grande partie de leur temps à remplir des paperasses inutiles, à rédiger des projets qui ne voient jamais le jour et que personne ne lit jamais. Ces tâches extrêmement ennuyeuses et même nuisibles accablent l'esprit, et suppriment un temps libre qui pourrait être mieux employé. Pour différentes raisons, j'avais fondé une académie où venaient des jeunes gens du monde entier. Je me suis alors trouvé à la croisée des chemins: j'avais à choisir parmi deux tâches très différentes entre lesquelles je ne pouvais pas me partager. C'est pourquoi j'ai dû abandonner le lycée, pour mon plus grand regret parce que j'ai toujours aimé y enseigner, afin de me consacrer à la seconde de ces tâches.
F. B. - Ce premier établissement dont vous venez de parler se trouvait à Montella, près de Naples. Pourriez-vous nous expliquer de quoi il s'agissait dans les premiers temps?
A. M. - Quand j'avais vingt ans, j'ai organisé un congrès international; puis, en 1998, j'avais rassemblé des savants du monde entier pour qu'ils discutent sur la pédagogie des langues classiques, et sur le moyen de les promouvoir et de les remettre à l'honneur. Au cours de ce congrès de 1998, j'avais lancé l'idée, en session plénière, d'une institution où des jeunes gens du monde entier puissent venir et se rassembler afin de pratiquer les humanités autrement qu'elles ne le sont dans les différentes universités. Il s'agissait en particulier d'aider les étudiants moins favorisés, souffrant de la pauvreté ou d'autres problèmes. En effet, quelques années plus tôt, de jeunes Albanais m'avaient été confiés, presque totalement analphabètes, pour que je les élève, les héberge, les instruise. Autant que j'ai pu, aidé par d'anciens étudiants à moi, je me suis efforcé de donner à ces enfants une instruction littéraire et classique; et j'ai constaté qu'avec des méthodes efficaces, même sur des êtres dépourvus d'instruction, il était possible de parvenir à un niveau de culture appréciable, à de bonnes connaissances, à condition que l'intelligence ne fasse pas défaut.
J'ai donc proposé à tous ceux qui étaient présents au congrès de fonder un institution de ce genre. Pour y entrer, on sélectionnerait les étudiants à la fois doués et portés aux études littéraires, mais qui, pour différentes raisons, n'étaient pas en mesure de mener à bien leur projet. Beaucoup m'ont donné leur approbation. Aussi, peu après, nous avons commencé à héberger des jeunes gens venus des quatre coins du monde : du Mexique, de la République Tchèque, de France, d'Allemagne, de Chine, d'Australie, de Russie, de partout. Ce jeunes gens affluaient dans une maison que j'avais louée sur mes propres deniers; ils vivaient ensemble, comme le font des amis, des proches, ou des gens liés entre eux d'autre manière. Là, d'autres professeurs et moi, nous faisions des cours en latin sur la littérature, la philosophie, l'histoire et d'autres sciences humaines. Les étudiants, entre eux, continuaient à apprendre le latin et à progresser dans les matières qui leur étaient proposées. Nous avons continué ainsi jusqu'en 2009.
Mais les étudiants étaient chaque jour plus nombreux; les universités du monde entier sélectionnaient leurs meilleurs éléments pour nous les envoyer, en organisant même des concours à cet effet; et ceux-ci venaient vivre parmi nous. En 2009, nous avions du mal à tous tenir dans la maison de Montella qui, quoique spacieuse, n'en était pas moins une maison privée. Il y avait là une bibliothèque assez riche; nous avions réussi à transformer certaines pièces en salles de cours; toutefois, la maison n'était pas adaptée pour devenir un établissement d'enseignement d'une certaine importance. Aussi, après mûre réflexion, après avoir longtemps pesé le pour et le contre, nous avons considéré qu'il valait la peine d'accepter la proposition qui nous étaient faites par des gens de Rome. Ces religieux nous ont proposé de déménager à Rome, dans leurs locaux, là même où nous nous trouvons aujourd'hui. Le déménagement s'est fait vite, au mois de septembre, avec l'aide de ces mêmes religieux. Nous nous sommes installés ici. Nous avons signé un contrat pour louer ces locaux. Ici, nous avons pu faire en plus grand ce que nous faisions déjà : nous avons accueilli davantage d'étudiants, organisés d'autre congrès internationaux, hébergé des savants de toutes provenances, développé des séminaires, des conférences, des stages, afin de former de mieux en mieux les étudiants aux matières classiques.