Voici en exclusivité un extrait de La langue géniale d'Andrea Marcolongo.
En bonne originaire du Chianti, je voudrais parler du vin dans la Grèce antique.
Appelé Nectar des dieux, Sang de Dionysos ou Ambroisie de l’Olympe, nous avons déjà dit qu’il avait un degré d’alcool très élevé : cela était dû au soleil brûlant de la Grèce associé à des vendanges très tardives, lorsque les feuilles des vignes étaient déjà tombées.
La consommation de cette boisson remonte à l’époque mycénienne, vers la fin du IIe millénaire avant J.-C., comme le prouve la découverte de cruches dans lesquelles les analyses chimiques ont confirmé la présence de vin. La culture de la vigne était répandue dans toute la Grèce et les œcistes (ceux qui étaient chargés par la mère patrie de fonder de nouvelles colonies outre-mer en exportant dans toute la Méditerranée les us et coutumes grecs) embarquaient aussi sur leurs navires des pieds de vigne à planter sur les terres nouvelles. La viticulture se diffusa ainsi jusque sur les côtes d’Espagne, de l’Afrique, de la France méridionale et de l’Italie, qui était parfois appelée Enotria, c’est-à-dire « la terre de la vigne », précisément en raison de l’excellent vin que l’on y produisait.
On a dit aussi qu’il était d’usage de le boire coupé d’eau, non seulement pour d’évidentes raisons d’ordre public, mais aussi pour une question d’identité : les Grecs étaient horrifiés par les barbares qui eux buvaient le vin tel quel, pur. Par exemple, au chant XI de l’Iliade, Nestor offre au médecin Machaon du vin de Pramnée (c’est-à-dire en provenance d’Icarie et considéré ainsi le premier « vin AOC » de l’histoire) mélangé à de la farine blanche et à du fromage râpé. Un délice, en somme : les héros d’Homère dégustaient cette mixture quand le moment était délicat, lorsqu’ils étaient blessés ou après des combats exténuants. Elle portait même un nom, cette pâtée : on l’appelait cycéon ou κυκεών.
Le banquet ou symposion (qui signifie « boire ensemble ») était pour les Grecs une antonomase et une occasion de consommer du vin : il était non seulement fait pour distraire, mais il prévoyait aussi des moments de discussions politiques, intellectuelles et civiques. Tandis que les participants buvaient et mangeaient confortablement étendus sur des tricliniums, il y avait des poètes et des aèdes qui chantaient l’histoire commune de la Grèce et les poèmes homériques en premier lieu, renforçant ainsi le sentiment d’appartenir à une communauté. Et c’était le devoir du symposiarque, c’est-à-dire le chef du banquet, de déterminer combien de vin il fallait boire et comment le couper d’eau. Les vases pour servir le vin avaient des formes et des noms variés : le plus important d’entre eux était le cratère, utilisé pour mélanger le vin et l’eau.
L’état d’ébriété avait une signification religieuse, presque mystique : on croyait en effet que l’ivresse permettait aux hommes de se débarrasser du frein de la raison et de se rapprocher de la divinité. C’est de là que vient la fameuse expression due au poète Alcée, ἐν οἴνῳ ἀλήθεια, in vino veritas, dont on se sert couramment aujourd’hui encore pour justifier les soirées arrosées bien moins sacrées.
Enfin, les vins étaient classés selon leur couleur, blanc, noir et acajou, et selon leur parfum de rose, de violette ou de résine – une gamme délicieuse.