Voici un extrait de la Guerre des Gaules de César dans une traduction nouvellement parue aux Belles Lettres.
19. 1. La colline s’élevait en pente douce. Un marais impraticable et dangereux, qui ne dépassait pas les 15 m de large, l’entourait presque entièrement. 2. Les Gaulois se sentaient en sécurité grâce à cet avantage topographique. Ils se maintenaient sur cette colline après avoir coupé les ponts. Ils formaient des groupes par cité, répartis pour surveiller chaque gué ainsi que les passages du marais. Ils se tenaient prêts : si les Romains tentaient de le franchir, embourbés, ils se feraient écraser par les Gaulois qui leur tomberaient dessus. 3. Si on ne tenait compte que de la proximité entre les deux armées, on pourrait dire qu’elles avaient toutes deux les mêmes atouts au départ ; mais quiconque avait l’œil pour percevoir la différence entre les deux situations voyait bien que les Gaulois faisaient exprès de nous provoquer. 4. Les soldats romains, eux, étaient écœurés que les Gaulois, en les voyant si proches, se contentent de les regarder et ils exigeaient le signal du combat, mais César les raisonne : quel serait le prix à payer, combien de héros devraient tomber pour remporter une victoire ? 5. Il les voyait prêts à foncer, prêts à tout braver pour sa gloire, mais il serait monstrueusement injuste si son succès personnel passait avant leurs vies. 6. Voilà comment il a calmé les soldats. Le même jour, il les ramène au camp et décide de finir de préparer le siège de la ville.
20. 1. De retour près de ses hommes, Vercingétorix fut accusé de trahison 1 : il s’était approché exagérément du camp romain, il était parti avec toute la cavalerie, il avait laissé tant de troupes sans commandement ! Et il avait suffi qu’il s’éloigne pour que les Romains arrivent tout de suite, juste au bon moment ? 2. Il n’y avait pas de hasard, tout ceci n’avait pu qu’être prémédité. Il préférait régner sur la Gaule avec la bénédiction de César plutôt que grâce aux Gaulois. 3. Il répondit point par point à ces accusations 2. Oui, il avait déplacé le camp, mais c’était parce qu’il n’y avait plus de fourrage disponible, et ils avaient été les premiers à le lui demander. Oui, il s’était approché des Romains, mais c’était la configuration idéale du lieu qui l’avait décidé puisqu’elle offrait une protection naturelle. 4. Sur un terrain marécageux, la cavalerie n’était pas nécessaire ; par contre, elle avait bien servi là où elle était allée. 5. Oui, il n’avait confié le commandement suprême à personne, mais c’était fait exprès : c’était pour éviter que quelqu’un, sous la pression collective, ne soit poussé à engager le combat. Clairement, si tout le monde préférait cette solution, c’était faute de volonté et d’endurance. 6. Si les Romains étaient venus par hasard, il fallait remercier la Fortune. S’ils avaient été avertis par un traître, c’était lui qu’il fallait remercier. Pourquoi ? Parce que, en les voyant d’en haut, on avait pu se rendre compte qu’ils étaient peu nombreux et n’avaient rien dans le ventre ; la preuve, ils n’avaient pas engagé le combat et étaient rentrés lamentablement dans leur camp. 7. Il n’attendait pas que le pouvoir lui vienne de César pour prix de sa trahison puisqu’il pouvait l’obtenir par la victoire : elle était déjà là, à portée de main, pour lui et tous les Gaulois. Avaient-ils l’impression que l’honorer en lui donnant le pouvoir pesait plus lourd que recevoir la victoire de ses mains ? Dans ce cas, il le leur rendait. 8. « Pour que vous compreniez bien que tout cela est vrai, ajouta-t-il, écoutez donc le témoignage de soldats romains. » 9. Il fait venir des esclaves capturés quelques jours auparavant au moment où ils allaient faire du fourrage et qu’il avait torturés en les affamant et en les enchaînant. 10. On leur avait fait la leçon pour répondre à l’interrogatoire. Ils étaient légionnaires, disent-ils, ils avaient faim, ils n’avaient plus rien, alors ils étaient sortis en douce du camp pour voir s’ils ne pourraient pas trouver du bétail ou du blé dans la campagne. 11. Toute l’armée était dans la même détresse, on était à bout de forces, on ne pouvait plus rien faire. Alors le général avait décidé que, si le siège n’aboutissait à rien, il retirerait son armée dans les trois jours. 12. Et là, Vercingétorix dit : « Ça, c’est le cadeau que je vous fais, moi que vous accusez de trahison. Alors que c’est grâce à moi, sans que vous versiez une seule goutte de sang, qu’une armée victorieuse de cette envergure meurt de faim sous vos yeux ! Et quand cette armée se repliera lamentablement, aucune cité ne l’accueillera, j’ai tout prévu. »
21. 1. Acclamations unanimes de la foule, bruits d’armes entrechoquées, à la gauloise 2 : c’est leur façon d’applaudir un discours. « Vive Vercingétorix, c’est bien notre chef suprême ! Il n’y a pas à avoir de doute sur sa loyauté ! Il n’y a pas de meilleure stratégie ! » 2. On décide d’envoyer dans la ville un contingent de 10 000 hommes prélevé sur l’ensemble des troupes : 3. il ne fallait pas laisser aux seuls Bituriges la responsabilité d’un avenir qui les concernait tous ; si c’était à eux que la ville devait sa préservation, ils auraient entre leurs mains la victoire décisive, aucun doute.
22. 1. Face à l’exceptionnelle valeur de nos soldats, les Gaulois s’en sortaient à chaque fois par des astuces de toute sorte. Ce sont des gens très malins, très doués pour tout imiter et reproduire ce qu’ils trouvent chez les autres 3. 2. Par exemple, ils utilisaient des lassos pour dévier nos faux 4 et, quand ils s’en étaient emparés, ils les ramenaient à l’intérieur de leurs remparts grâce à des treuils. Ils creusaient des galeries pour saper nos terrassements. Ils s’y connaissaient d’autant mieux qu’il y a chez eux de grandes mines de fer et qu’ils sont experts en galeries souterraines en tout genre 1. 3. Autre exemple : ils avaient pourvu tout le rempart de tours à étages qu’ils avaient protégées avec des peaux 2. 4. Alors ils multipliaient les sorties, de jour comme de nuit, pour mettre le feu à la terrasse, ou pour attaquer les soldats en plein travail. 5. Ils faisaient monter leurs tours, au moyen de poutres, à la hauteur atteinte chaque jour par les nôtres grâce aux remblais. Ils retardaient la fabrication de nos galeries en lançant dans les parties visibles des pieux de bois durcis au feu et taillés en pointe, de la poix bouillante et d’énormes pierres, ce qui empêchait les galeries d’arriver jusqu’au mur 3.