Entouré par les flots de l’extrême Océan, un bon verdoie
Au-delà des Indiens et de l'Eurus; le premier ébranlé
Par les chevaux qui soufflent, il sent les coups de près
Quand le char couvert de rosée fait résonner le seuil humide
D'où rougeoie le jour à venir et la Nuit, par l'éclat des roues
Soufflée au loin, pâlit avec son manteau qui s’échappe
L'oiseau trop heureux de Titan habite ce royaume;
Protégé par une étendue accidentée, il détient seul
Un bord inaccessible aux animaux malades,
Sans souffrir de fâcheux contacts avec le monde humain.
L’oiseau, égal aux dieux, dont la vie dure autant que les étoiles,
Renouvelle ses membres et épuise le temps.
Sans être habitué à apaiser par la nourriture sa faim
Ni à écarter sa soif aux fontaines, il se nourrit
Des plus purs rayons du Soleil, il goûte à l'aliment venteux
De Téthys en cueillant les mets d'une vapeur inoffensive.
Un mystérieux éclat rayonne dans ses yeux, une gloire de feu
Entoure son visage; une pointe avec crête élève
Un astre né sur sa tête éclatante et il fend les ténèbres
D'une clarté sereine; la drogue de Tyr colore ses pattes.
Plus rapides que le Zéphyr, ses ailes sont bordées
D'un éclatant azur qui, en haut, s'enrichit d'un semis d’or.
Il ne naît ni d'une semence ni d'une conception.
Mais il est son père et son fils; sans qu'un autre le crée,
Par une mort féconde, il reforme son corps qui a servi :
Par autant de décès, il gagne une autre vie
Car quand un long été a tourné mille fois, qu'autant d'hivers
Se sont précipités, que le printemps avec autant de courses
Aux cultivateurs a donné l'ombre ôtée par l’automne
Lors, sous le poids de tant d'années, il est enfin soumis
Vaincu par le nombre des lustres tel un grand pin vacille
Au sommet du Caucase, épuisé de tempêtes;
Son propre poids va entraîner tardivement sa chute
Sous le vent continu, il tombe pour partie et pour partie se brise,
Rongé par les averses; le mal de la vieillesse a arraché le reste
Déjà sa lumière décroît, plus brève, et son étoile, paresseuse,
Languit sous la glace des ans: ainsi, quand les nuées
Prennent Cynthie, elle s'évanouit, sa pointe est incertaine.
Habituées à traverser le cœur des nues, ses ailes
Déjà ont peine à s'élever du sol. Alors, conscient du temps
Passé, il se prépare à commencer une forme renouvelée
Sur des collines tièdes, il recueille des herbes sèches
Dispose un amas sabéen tressé de feuillages précieux
Qui va être pour lui et un bûcher et un enfantement.
Il s'y assied; il salue le Soleil par un cri de douceur
Affaibli, et y mêle des prières; par un chant de supplique
Il demande le feu qui lui fournira de nouvelles forces.
Quand Phébus le voit à distance, il tire sur les rênes,
Soudain s'arrête et console son pieux fils par ces paroles :
«Toi qui vas déposer ta vieillesse sur ces fagots et obtenir
Sur ce tombeau fictif ta renaissance, toi qui souvent renais
De ton décès et rajeunis de ton propre trépas
Reçois à nouveau le principe, abandonne ce corps Rapetissé,
change de forme, avance-toi meilleur. »
À ces mots, en hâte, il secoue sa tête pour lancer
L'un de ses cheveux blonds: il envoie un éclair de vie
Qui frappe l'oiseau consentant. De fait, il se laisse brûler
Pour revenir et se réjouit de mourir, pressé de naître.
Le monceau parfumé s'échauffe sous les célestes traits
Et il consume le vieux corps. La Lune stupéfiée retient
Ses taurillons brillants, le ciel ne pousse pas son axe paresseux.
Tandis que le bûcher enfante, Nature inquiète travaille
À ne pas perdre l'oiseau éternel et rappelle aux flammes fidèles
De faire revenir la gloire immortelle du monde.
À l'instant la vigueur circule dans les membres dispersés
En bouillonnant, le sang qui revit inonde les veines
Les cendres sans contrainte commencent à bouger pour vivre
Et à vêtir de plumes la poussière rude mais chaude.
Celui qui avait été père s'élance maintenant le même, en fils,
Et, renouvelé, se succède : aux confins des deux vies,
Le feu, au milieu, les sépare par un minuscule intervalle
Aussitôt il lui plaît de consacrer les mânes de son père
Au bord du Nil et de porter au littoral du pays de Pharos
La boule de son père. Rapide, il tend vers un monde étranger
Avec la dépouille enfermée dans une gaine végétale.
Avec lui, des oiseaux sans nombre; en l'air, cette cohorte ailée
L'escorte dans son vol: dans ses diverses courses,
L'immense armée ennuage à foison le firmament.
De tous ces milliers d'oiseaux, aucun n'ose voler
Devant le chef, mais ils vénèrent le chemin, la fragrance du roi;
Ni l'épervier cruel ni même l'écuyer du maître du tonnerre
Ne provoque de guerre: le respect crée un pacte général
Ainsi le chef parthe conduit depuis le fleuve Tigre
Ses bataillons barbares :avec abondance de pierreries
Et de riches parures, il orne son cimier de couronnes royales,
Il bride son cheval avec de l'or; l'aiguille assyrienne a brodé
Son vêtement teint à la pourpre; gonflé par le pouvoir,
Il est fier de sa haute autorité sur des armées soumises.
Une ville illustre en Egypte et très connue par son culte apaisé
Honore le Titan et un temple immense est porté
Par cent colonnes arrachées aux montagnes de Thèbes.
C’est là, rapporte-t-on, qu'il dépose selon le rite
La masse de son père; du dieu son maître il vénère la face,
Déjà confie sa charge au feu, et déjà destine aux autels
Germes et restes de lui-même: étonnés, les seuils brillent
Et un fumet divin s'exhale des autels
En s'étendant jusques aux marais de Péluse,
Une senteur indienne pénètre les narines, emplit les hommes
D'effluves salutaires et un souffle plus doux que le nectar
Envahit de vapeurs les sept bouches du Nil aux reflets noirs
Heureux, héritier de toi-même! Ce qui nous dissout tous
À toi fournit des forces. La cendre te donne un commencement
Et ta vieillesse meurt sans que tu périsses toi-même.
A soulevé et déversé sa vague, inondant les rochers,
Quelle année a brûlé des errances de Phaéton;
Aucun désastre ne t'emporte, tu demeures seul survivant
Une fois la terre domptée. Les Parques contre toi
N'enroulent pas de fils cruels, sans avoir le droit de te nuire.