Voici un passage de Fulgence qui commente le texte d'Apulée que vous avez pu lire ici. L’interprétation qu’en propose Fulgence n’ôte rien à sa perfection. On peut même juger qu’en son symbolisme, elle y introduit une cohérence supérieure. Le tout est à retrouver dans la Bibliothèque mythologique idéale !
Vous pouvez également consulter le formidable dossier sur Eduscol "L’énigme de Pompéi : Enquête sur Éros, Psyché, Isis, scorpions et papillons, dans la littérature et les arts, avant et après Apulée".
Apulée, dans son ouvrage Les Métamorphoses [Livre IV, chap. 28 et suivants], a très clairement exposé cette fable : il était une fois dans une cité un roi et une reine qui avaient trois filles ; les deux aînées avaient une beauté modérée, mais la plus jeune avait une apparence physique si merveilleuse qu’on eût cru Vénus descendue sur terre. Par suite les deux aînées, qui avaient une beauté modérée, se marièrent ; mais celle qui était comme une déesse, on osait moins l’aimer qu’on était enclin à la vénérer et à se la rendre favorable par des sacrifices.
Vénus donc, devant cette souillure infligée à la majesté de son honneur, enflammée de jalousie, demanda à Cupidon de sévir avec rigueur contre cette beauté obstinée. Celui-ci, arrivant pour venger sa mère, tomba amoureux de la jeune fille dès qu’il la vit ; le châtiment, en effet, se changea en passion et, comme le noble archer, il se frappa lui-même de son propre trait. Ainsi donc, par l’oracle d’Apollon, la jeune fille reçoit l’ordre d’être abandonnée, seule, sur le sommet d’une montagne, comme si on l’amenait à de lugubres funérailles, pour y être accordée en mariage à un serpent ailé. La cérémonie ayant été accomplie la jeune fille, descendant les pentes de la montagne par le doux moyen du souffle de Zéphyr, est enlevée jusqu’à une demeure tout en or qui, à seulement la considérer, pouvait être estimée d’un prix inappréciable et devant laquelle la louange était impuissante ; et là, n’étant servie que par des voix, elle s’unissait à un époux qui lui demeurait inconnu et ne faisait que passer ; son mari, en effet, arrivant la nuit, livrait les combats de Vénus dans l’obscurité, et, de même qu’il était arrivé le soir de façon à ne pas être vu, de même aussi il se retirait dès l’aube sans se faire connaître.
Elle avait donc des servantes qui n’étaient que des voix, un pouvoir qui ne s’exerçait que sur du vent, des relations qui n’avaient lieu que la nuit et un époux qui lui demeurait inconnu. Mais ses sœurs vinrent pour pleurer sa mort et, arrivées au sommet de la montagne, criaient d’une voix endeuillée son nom ; et bien que son époux qui fuyait la lumière lui eût avec des menaces interdit de revoir ses sœurs, cependant l’invincible ardeur de la tendresse des liens du sang occulta les commandements du mari. Elle amène donc à elle l’affection de ses sœurs par le moyen aérien du souffle qu’exhale Zéphyr et, obéissant à leurs conseils venimeux de chercher quelle forme avait son mari, elle cède à la curiosité, marâtre pour son salut, et à une très facile crédulité, toujours mère des tromperies, en négligeant le secours de la prudence ; enfin, persuadée par ses sœurs qu’elle est unie à un mari serpent, comme pour tuer la bête, elle cache un rasoir sous un coussin de son lit et dissimule une lampe avec un boisseau. Et alors que son mari se livrait sans retenue à un profond sommeil, elle, armée de son fer et tirant la lampe que protégeait le boisseau, reconnaît Cupidon ; mais pendant qu’elle s’enflamme d’une passion d’amour démesurée, elle brûle son mari d’un crachin d’huile brillante : Cupidon s’enfuit en blâmant abondamment la curiosité de la jeune femme qu’il chasse de chez lui et abandonne à ses errances. Enfin, après qu’elle eut été harcelée par les multiples persécutions de Vénus, à la demande de Jupiter il l’obtient en mariage.
Certes, j’aurais pu, dans ce petit livre, parcourir point par point toute cette fable : comment elle est descendue aux Enfers et a prélevé une petite urne aux eaux du Styx, comment elle a dépouillé de leur toison les troupeaux du Soleil, comment elle a démêlé le tas confus des semences, comment, risquant la mort, elle a enlevé une parcelle de la beauté de Proserpine ; mais parce que plus qu’abondamment Apulée a raconté ce grand amas de faussetés dans le contenu de presque deux livres et que l’Athénien Aristophontès dans les livres appelés Disarestia a transmis avec des détours interminables cette fable à ceux qui étaient désireux de la connaître, j’ai jugé pour cette raison inutile d’insérer dans mon œuvre ce qui a été traité par d’autres, de peur qu’elle ne soit détournée de sa fonction propre, ou bien attribuée aux travaux d’autrui. Mais si celui qui a lu cette fable passe à mes explications pour savoir ce que les mensonges de ces deux auteurs signifient, voici. On a voulu voir dans la cité comme une représentation du monde, et dans le roi et la reine qui étaient à sa tête, on a voulu voir comme dieu et la matière. On leur adjoint trois filles, c’est-à-dire la chair la libre volonté – ce que nous appelons le libre arbitre – et l’âme.
En effet psi en grec, veut dire l’âme, et si l’on a affirmé qu’elle était la plus jeune, c’est parce que, dit-on, l’âme a été introduite dans le corps une fois celui-ci déjà formé elle est également la plus belle, parce que l’âme est supérieure à la liberté et plus noble que la chair Vénus, en quelque sorte le plaisir des sens, est jalouse d’elle ; et pour la perdre, elle envoie le désir ; mais, parce que le désir peut tendre autant vers le bien que vers le mal, ce désir éprouve de la tendresse pour l’âme et s’unit à elle comme par fusion ; il la persuade de ne pas voir son visage, c’est-à-dire de ne pas chercher à connaître les attraits du désir – de là Adam, bien qu’il jouisse de la vue, ne voit pas qu’il est nu jusqu’à ce qu’il mange à l’arbre de la concupiscence – et de ne pas obéir à ses sœurs, c’est-à-dire la chair et la liberté, en succombant à la curiosité de connaître ses traits ; mais effrayée par l’insistance de ces dernières, elle retire la lampe de dessous le boisseau, c’est-à-dire qu’elle met au jour la flamme du désir dissimulée dans son cœur, et se trouve remplie d’amour et de tendresse devant la douceur d’une telle vision. Et si on dit qu’elle l’a brûlé par le bouillonnement de la lampe, c’est que tout désir s’enflamme en proportion de la tendresse dont il est l’objet, et qu’il fixe sur sa chair la tache du péché. Ainsi donc, en quelque sorte mise à nu par le désir, elle est privée d’une fortune considérable, ballottée par les dangers et chassée de sa demeure royale.
Mais pour ma part puisque, comme je l’ai dit, il serait trop long de tout passer en revue, j’ai seulement donné l’essentiel de ma pensée. Si quelqu’un lit la fable chez Apulée, il y trouvera de lui-même tout ce dont je n’ai pas parlé dans la matière de mon interprétation.
Mythologie, livre III