Voici un extrait de l'Odyssée, Chant XII que vous offre aujourd'hui La vie des Classiques.
Quand nous avons quitté le cours de l'Océan, nous voguons sur la mer, et le flot du grand large nous porte en Aiaié, vers ces bords où, sortant de son berceau de brume, l'Aurore a sa maison avec ses chœurs et le Soleil a son lever. On aborde; on échoue le vaisseau sur les sables, on prend pied sur la grève et nous nous endormons jusqu'à l'aube divine.
De son berceau de brume, aussitôt que sortit l'Aurore aux doigts de roses, j'envoyai de mes gens au manoir de Circé <pour donner la nouvelle que nous étions au port pour rapporter le corps de défunt Elpénor, tandis que, sans tarder, nous jetions bas des arbres. Tristement, au plus haut du cap, nous le brulons, pleurant à chaude larmes. Quand la flamme a détruit son cadavre et ses armes, nous lui dressons un tertre, y plantons une stèle et nous fichons au haut sa rame bien polie. Nous venions d'achever quand arriva Circé, qui nous savait déjà revenus de l'Hadès.
Elle accourut, parée; ses femmes la suivaient, nous apportant du pain, des viandes à foison, du vin aux Debout en notre cercle, elle parlait ainsi, cette toute divine:
CIRCE. Pauvres gens! vous avez pénétré dans l'Hadès! et vous vivez encore! La mort, qui ne saisit qu'une fois les humains, vous la verrez deux fois! Mais prenez de ces mets et buvez de ce vin; restez là tout le jour; demain, vous voguerez, dès la pointe de l'aube; je vous dirai la route, en ne vous cachant rien, pour écarter de vous tout funeste artifice qui, sur terre ou sur mer, vous vaudrait des souffrances. »
Elle disait: nos cœurs s'empressent d'obéir. Aussi, tout un grand jour, jusqu'au soleil couchant, nous restons au festin: on avait du bon vin, des viandes à foison! Au coucher du soleil, quand vient le crépuscule, les autres vont dormir au long de nos amarres; mais, me prenant par la main, Circé me fait asseoir à l'écart de mes gens et, pour m'interroger sur tout notre voyage, s'allonge auprès de moi; je luis fais un récit complet, de point en point, Elle me dit alors, cette auguste Circé:
CIRCE. -« Vous voilà donc au bout de ce premier voyage! écoute maintenant ce que je vais te dire, et qu'un dieu quelque jour t'en fasse souvenir!
Il vous faudra d'abord passer près des Sirènes'. Elles charment tous les mortels qui les approchent. Mais bien fou qui relâche pour entendre leurs chants! Jamais en son logis, sa femme et ses enfants ne fêtent son retour: car, de leurs fraîches voix, les Sirènes le charment, et le pré, leur séjour, est bordé d'un rivage tout blanchi d'ossements et de débris humains, dont les chairs se corrompent... Passe sans t'arrêter! Mais pétris de la cire à la douceur de miel et, de tes compagnons, bouche les deux oreilles: que pas un d'eux n'entende; toi seul, dans le croiseur, écoute, si tu veux! mais, pieds et mains liés,
Debout sur l'emplanture, fais-toi fixer au mât pour goûter le plaisir d'entendre la chanson, et, si tu les priais, si tu leur commandais de desserrer les nœuds, que tes gens aussitôt donnent un tour de plus! Quand tes rameurs auront dépassé les Sirènes— je ne t'assigne pas d'ici tout le parcours; à toi, de décider —, deux routes s’offriront; les voici toutes deux…
La suite la semaine prochaine !