Aujourd'hui, La Vie des Classiques vous offre un extrait de chacune des quatre Bibliothèques idéales parues aux éditions Les Belles Lettres.
Pompée, surnommé le Grand à l’imitation d’Alexandre, s’est réfugié en Égypte après avoir été vaincu à la bataille de Pharsale par César. Il y est assassiné dès son arrivée, le 28 septembre 48 avant J.-C., sur ordre du roi Ptolémée. Son corps est décapité et abandonné sur le rivage. César débarque quelque temps après à Alexandrie, où la tête de Pompée lui est présentée. Il va visiter la tombe du fondateur de la ville, Alexandre, puis reçoit le roi Ptolémée qui se constitue prisonnier. Il établit Cléopâtre sur le trône et vit avec elle une intense liaison, dont naîtra un fils, Césarion.
César et Cléopâtre
Donne l’assurance de voir les sources du
Nil, et j’abandonnerai la guerre civile !
Cependant, arrivé des tourbillons du Nil où s’élève Péluse, le roi-enfant avait calmé l’irritation d’un peuple peu guerrier ; il s’était offert pour otage de la paix, et César était en sûreté dans la cour pelléenne, quand Cléopâtre, partie sur une petite birème, corrompit le gardien de Pharos, qui abaissa les chaînes, et se rendit, à l’insu de César, dans le palais émathien, elle, l’opprobre de l’Égypte, la fatale Érinys du Latium, dont l’impureté a fait le malheur de Rome. Autant la beauté malfaisante de la Spartiate bouleversa Argos et les demeures d’Ilion, autant Cléopâtre accrut les fureurs de l’Hespérie. C’est elle qui fit, avec son sistre, – oserai-je le dire ? – trembler le Capitole ; avec Canope, si peu guerrière, elle marcha contre les enseignes de Rome, dans l’intention de conduire des triomphes à Pharos, avec César pour captif ; et les gouffres de Leucade ont vu le moment où il était douteux si le monde ne tomberait pas aux mains d’une femme, qui n’était même pas de notre race. Ce qui lui donna cette audace, c’est la première nuit que passa dans le lit de nos chefs l’incestueuse fille des Ptolémées. Qui pourrait ne pas te pardonner, Antoine, ton amour insensé, quand le rude cœur de César a brûlé des mêmes feux ? Et même, au milieu de sa rage, au milieu de ses fureurs, dans le palais habité par les mânes de Pompée, cet adultère, tout couvert du sang du désastre thessalien, a fait une place à Vénus dans ses préoccupations et mêlé aux soucis des armes d’illégitimes unions, des enfantements qui violent la foi conjugale. Ô honte ! Oubliant Magnus, il te donna, Julie, un frère né d’une mère impudique. Laissant le parti fugitif se rallier aux confins de la Libye, il dépense honteusement ses heures à des amours nilotiques, préférant lui faire cadeau de Pharos et ne pas vaincre pour lui-même. Confiante dans sa beauté, Cléopâtre l’aborde, affligée, mais sans larmes, se faisant de sa feinte douleur la parure la moins compromettante, les cheveux en désordre comme si elle les avait arrachés ; elle commença ainsi : « Si la noblesse, ô très puissant César, a quelque prix, moi, l’héritière illustre de Lagus de Pharos, bannie, à jamais chassée du trône de mes pères, si ta main ne me rétablit dans mes anciens droits, reine, j’embrasse tes pieds. Tu es l’astre équitable qui vient briller sur notre peuple. Je ne serai pas la première femme qui ait dominé sur les cités du Nil : sans tenir compte du sexe, Pharos sait obéir à une reine. Lis les dernières paroles de mon père défunt : il entendait que je partage avec mon frère le trône et le lit. Cet enfant, pour aimer sa sœur, n’a besoin que d’être libre ; mais c’est Pothin qui tient en son pouvoir ses sentiments comme son épée. Ce n’est pas pour moi que je réclame l’héritage paternel : cette faute, une telle honte, ôte-les de notre maison ; éloigne l’arme criminelle d’un satellite, et ordonne au roi de régner. Quel orgueil n’enfle pas l’âme de cet esclave, depuis qu’il a tranché la tête de Magnus ! Maintenant c’est toi – puissent les destins détourner ses coups – qu’il menace. C’est assez d’opprobre, César, pour le monde et pour toi, que la mort d’un Pompée ait été le crime et le mérite d’un Pothin. »
Vainement elle eût tenté l’oreille de l’insensible César : son expression vient en aide à sa prière, sa figure d’incestueuse achève l’effet de son discours. Elle passe toute une honteuse nuit avec son juge, qu’elle a séduit. La paix une fois assurée par le chef et payée au prix d’immenses présents, un festin célébra la joie d’un si grand événement, et Cléopâtre étala un luxe tapageur, que la société romaine n’avait pas encore adopté. Le lieu en était comme un temple, tel qu’en élèverait à peine une époque plus corrompue ; les voûtes lambrissées étaient chargées de richesses ; d’épaisses lames d’or cachaient les pièces de bois ; les marbres, mais non pas découpés en placages superficiels, faisaient briller la demeure ; il s’y dressait des masses entières et solides d’agate et de porphyre ; c’était dans tout le palais une profusion d’onyx sur lequel on marchait ; l’ébène maréotique ne recouvre pas les vastes jambages des portes, mais s’y dresse au lieu du chêne vulgaire, servant de support et non pas d’ornement à la demeure. L’ivoire revêt les galeries de l’atrium, et sur les portes sont appliquées les écailles de la tortue indienne, coloriées à la main, émaillées de taches dans chacune desquelles s’enchâsse une émeraude. Les gemmes étincellent sur les lits, le jaspe donne aux buffets de fauves reflets ; des tapis resplendissent : la plupart ont été longtemps trempés dans la pourpre de Tyr et ont passé dans plus d’une cuve de cuivre pour bien absorber la drogue ; d’autres brillent de brocarts d’or, d’autres sont fulgurants d’écarlate, dans la manière artistique dont on use à Pharos pour ourdir les tissus. Puis c’est une multitude d’esclaves, un peuple de serviteurs. Ils se distinguaient entre eux soit par la race, soit par l’âge ; les uns ont les cheveux du Libyen, ceux-là les ont d’un blond tel, que César dit n’en avoir jamais vu de plus ardent sur les bords du Rhin ; d’autres, au teint brûlé par le soleil, ont la tête crépue et le front dégarni de cheveux ; il y a aussi les malheureux jeunes gens mutilés par le fer et dépouillés de leur virilité ; il y en a d’autres en revanche, plus vigoureux, mais dont les joues sont à peine ombrées d’un léger duvet.
Sur les lits ont pris place le roi et la reine, et, plus grande puissance qu’eux, César : elle a fardé sans mesure sa beauté malfaisante, insatisfaite du sceptre qu’elle a et du frère qui est son époux ; couverte des dépouilles de la mer Rouge, sur son cou, dans ses cheveux, Cléopâtre porte des trésors ; le poids de sa parure l’accable ; la blancheur de sa poitrine éclate à travers un voile de Sidon, fait d’un tissu pressé par le peigne des Sères, que l’aiguille du Nil a séparé en desserrant les fils pour élargir l’ouvrage. Alors sur des défenses couleur de neige, on a posé des tables rondes coupées dans les forêts de l’Atlas, telles qu’il ne s’en offrit jamais à la vue de César, même quand il eut vaincu Juba. Quel aveuglement, quel délire d’une vanité insensée, que d’étaler toutes ses richesses devant un chef de guerres civiles, que d’allumer les désirs d’un hôte armé ! Admettons que ce ne soit pas cet homme, prêt à une guerre impie pour s’enrichir par la ruine du monde ; mettez à sa place ces vieux capitaines, ces héros d’un âge de pauvreté, les Fabricius, les austères Curius ; que le convive ici couché soit ce consul que l’on tira tout sale de sa charrue étrusque : ils désireront faire à la patrie l’honneur d’un pareil triomphe.
On a répandu dans de l’or tout ce que la terre, ce que l’air, ce que la mer ou le Nil offrent de mets, tout ce que la vanité d’un luxe délirant a été chercher dans l’univers entier, sans l’aiguillon de la faim ; on a posé sur les tables une quantité d’oiseaux et de bêtes sauvages, ces divinités de l’Égypte ; le cristal verse sur les mains l’eau du Nil ; d’amples pierres précieuses ont reçu du vin, mais pas celui des grappes du lac Maréotis, qui en peu d’années a noblement vieilli grâce à Méroë, qui enlève au falerne son âpreté en activant sa fermentation. Les fronts portent des couronnes entrelacées de fleurs de nard et de roses, perpétuelles dans le pays ; sur les chevelures humides on a répandu à flots le cinnamome, qui ne s’est pas encore évaporé à l’air d’un pays étranger, et n’a point perdu le parfum qu’il avait dans sa terre natale ; et l’amome a été nouvellement amené des campagnes voisines. César apprend à dissiper les richesses de l’univers dépouillé ; honteux d’avoir combattu contre un gendre pauvre, il souhaite un prétexte de guerre avec les peuples de Pharos.
Lorsque la volupté rassasiée a mis un terme au repas et aux libations, César engage un entretien qui fut prolongé bien avant dans la nuit ; il adresse à Acorée, étendu, dans sa robe de lin, sur le siège le plus élevé, ces paroles bienveillantes : « Vieillard voué au culte, et comme le témoigne ton âge, non négligé des dieux, explique-moi les origines de la race de Pharos, la géographie du pays, les moeurs du peuple, les rites et les différentes formes de ses dieux ; dévoile-moi ce qui est gravé sur vos antiques sanctuaires, dévoile-moi des dieux qui ne demandent qu’à être connus. Si tes ancêtres instruisirent de leurs mystères le Cécropien Platon, quel hôte fut jamais plus digne de les entendre et plus fait pour comprendre l’univers ? Si c’est ce qu’on disait d’un gendre qui m’a conduit aux villes de Pharos, c’est aussi votre renommée ; au milieu des combats, j’ai toujours trouvé le temps d’étudier les espaces stellaires et célestes et les dieux, et mon année ne le cédera pas aux fastes d’Eudoxe. Mais, avec cette ardente passion qui vit dans mon âme, cet amour extrême du vrai, je n’ai rien de plus à coeur que de connaître le régime de ce fleuve, dont tant de siècles ont ignoré les causes, et son origine inconnue ; qu’on me donne l’assurance de voir les sources du Nil, et j’abandonnerai la guerre civile ! »
Il avait terminé ; le pontife Acorée lui répond en ces termes : « Il m’est permis, ô César, de te dévoiler les secrets de nos vénérables ancêtres, ignorés, jusqu’à ce jour, du peuple profane. Que d’autres se fassent un pieux devoir de taire d’aussi grandes merveilles ; pour moi je suis convaincu qu’il est agréable aux dieux d’entendre vulgariser leur ouvrage et révéler aux peuples leurs lois sacrées. Les planètes, qui seules modèrent la rapidité de la révolution du ciel en gravitant dans un sens opposé au sien, ont reçu de la loi originelle du monde une puissance diverse. Le Soleil partage les époques du temps, fait succéder la nuit au jour, force par la puissance de ses rayons les astres à s’arrêter et suspend autour de son axe fixe leur course vagabonde. La Lune, par ses phases, mêle Téthys et les terres. À Saturne ont fait place les froides régions de la glace et la zone neigeuse. Mars tient les vents et les foudres irrégulières. Sous Jupiter, c’est l’air calme et sans nuages. La féconde Vénus, elle, garde le germe de toutes choses. Le dieu du Cyllène est l’arbitre de l’onde immense. Dès qu’il occupa la région du ciel où les constellations du Lion et du Cancer sont mêlées, où Sirius émet ses feux rapides, où le cercle qui fait alterner les saisons occupe le Capricorne et le Cancer, et sous laquelle sont situées les sources cachées du Nil ; c’est alors que le maître des eaux a frappé celles-là de sa flamme, que, sa source ouverte, le Nil sort, comme l’océan obéit docilement à l’accroissement de la lune, et ne rentre pas dans son lit avant que la nuit ait recouvré les heures d’été sur le soleil.
C’est une erreur des anciens de croire les débordements du Nil dus aux neiges d’Éthiopie. Ces montagnes ne connaissent ni l’arctos ni Borée. Tu en as pour preuves la couleur même des habitants brûlés par le soleil, et les austers aux souffles embrasés. Ajoute que tous les fleuves, dont la fonte des glaces précipite la source, commencent à s’enfler à l’entrée du printemps, au premier écoulement des neiges : le Nil ne soulève pas ses ondes avant l’apparition des rayons du Chien, et n’enchaîne pas son lit à ses rives avant l’équilibre de la nuit et de Phébus avec la Balance pour arbitre. Aussi n’est-il pas non plus soumis aux mêmes lois que les autres fleuves : il ne s’enfle pas en hiver, où l’éloignement du soleil enlève à l’onde l’occasion de rendre ses services ; destiné à tempérer un air trop brûlant, il sort de son lit au milieu de l’été, sous la zone torride ; et, pour que la flamme ne détruise pas la terre, le Nil vient au secours du monde, et c’est contre la face en feu du Lion qu’il s’enfle ; sitôt que le Cancer embrase Syène qu’il domine, il vient au secours de la ville qui l’implore ; il ne retire pas ses eaux des plaines avant que Phébus ne décline vers l’automne et que les ombres ne s’allongent sur Méroé. Qui pourrait donner les causes du phénomène ? C’est la volonté de la nature maternelle que le Nil déborde ; c’est une nécessité pour le monde.
C’est aux zéphyrs aussi que l’antiquité a, sans fondement, attribué ces inondations : ils soufflent à des époques fixes, sans relâche, en gardant longtemps la souveraineté des airs ; ou bien, chassant les nuages d’occident par delà les contrées du Notus, ils forcent leurs pluies à fondre sur le fleuve ; ou bien, battant continuellement les nombreuses bouches du Nil, ils le forcent à résister à la mer : interrompu dans sa course par cet obstacle que les flots lui opposent, il se répand sur les plaines. Il en est qui croient à l’existence de conduits souterrains et de vastes ouvertures dans la masse creuse du globe ; l’onde y circule en tous sens, dans le secret des profondeurs, rappelée des froides régions de l’Arctos vers l’équateur, lorsque Phébus a pesé sur Méroé, et que la terre, toute brûlée, conduisit là les eaux, où sont attirés et le Gange et le Pô, par les voies secrètes du monde : alors le Nil, vomissant tous les fleuves par une seule source, ne saurait les contenir dans un seul lit. Une opinion veut que le bouillonnement lointain de l’océan, qui embrasse toute la terre, déchaîne la violence du Nil, tandis que la longueur du trajet fait perdre aux flots marins, avec leur force, leur saveur salée. On croit aussi que Phébus et le ciel s’alimentent dans l’océan : lorsqu’il touche les bras de l’ardent Cancer, le soleil aspire l’océan, d’où s’élève plus d’eau que l’atmosphère n’en peut assimiler ; le superflu est rendu par les nuits et déversé dans le Nil.
Pour moi, s’il m’est permis de résoudre un si grand problème, voici, César, ma conviction : parmi les fleuves, les uns, longtemps après la formation du monde, jaillissent du sein de la terre par l’effet de secousses, en dehors de toute action divine ; les autres, à l’origine même de sa formation, ont commencé avec le grand tout, et c’est le créateur, l’artisan de l’univers qui les maintient sous des lois déterminées.
Le désir que tu as, Romain, de connaître le Nil, fut aussi l’ambition des tyrans de Pharos, de Perse et de Macédoine ; il n’est point d’âge qui n’ait voulu en transmettre la connaissance à la postérité ; mais le pouvoir qu’il a de cacher sa nature est encore le plus fort. Le plus grand des rois, que Memphis adore, Alexandre, jaloux du Nil, envoya aux confins de l’Éthiopie des hommes d’élite ; les régions roussies de la zone torride les arrêtèrent : ils virent le Nil bouillonnant. Sésostris pénétra vers le couchant jusqu’aux limites du monde, il poussa son char de Pharos sur la nuque des rois : pourtant il eût bu l’eau de vos fleuves, le Rhône et le Pô, avant celle du Nil à sa source. L’insensé Cambyse parvint en Orient jusque chez les peuples à la longue vie : manquant de vivres et réduit à massacrer les siens pour se nourrir, il revint sans te connaître, Nil. La fable même, dans ses fictions, n’a point osé parler de ta source. Partout où l’on te voit, l’on te cherche, et pas un peuple n’a la gloire de se dire avec joie que le Nil est à lui. Je vais dévoiler de ton cours, Nil, ce que m’a donné de connaître le dieu qui recèle tes ondes. Tu te lèves de l’équateur ; osant dresser ton lit contre l’ardent Cancer, tu coules droit vers Borée et le centre du Bouvier ; ta course se poursuit en détours vers le couchant et vers l’orient, favorisant tantôt le pays des Arabes, tantôt les sables de Libye ; les premiers à te voir sont les Sères, qui pourtant cherchent eux aussi ton origine ; puis tu frappes les plaines de l’Éthiopie de flots qui lui sont étrangers, et l’univers ignore à quelle terre il te doit. La nature n’a dévoilé pour personne le secret de ta source ; elle n’a pas permis aux peuples de te voir, ô Nil, dans ta petitesse ; elle a dérobé ta retraite ; elle a mieux aimé faire admirer ton berceau, que de le faire connaître. Tu as le privilège de te lever même sous les solstices, de grossir en dehors de la saison des frimas et d’apporter l’hiver en ton temps à toi ; il ne fut donné qu’à toi de te promener à travers les deux hémisphères. Ici l’on cherche où commence, là-bas où finit ton cours. Tu divises largement tes flots pour embrasser Méroé, populeuse avec ses noirs habitants, fière de ses frondaisons d’ébéniers, qui, chargées du feuillage d’arbres abondants, n’y tempèrent cependant par aucun ombrage les ardeurs de l’été : tant la ligne du zénith y frappe directement le Lion. De là tu traverses la région de Phébus sans avoir rien perdu de tes eaux ; tu parcours longtemps de stériles arènes, tantôt ramassé en un seul lit avec toutes tes forces, tantôt vagabond et répandu sur ta rive qui ne te résiste pas. De nouveau ton lit indolemment rappelle tes eaux divisées, aux lieux où Philé, barrière du royaume, sépare des peuples arabes les campagnes égyptiennes. Bientôt tu coupes, en pente douce, les déserts qui séparent notre commerce de la mer Rouge. Qui croirait, à te voir couler si mollement, ô Nil, que toutes les colères vont soulever la violence de tes flots ? Eh bien ! lorsque ton cours a été interrompu par des passages escarpés, des cataractes à pic où tu tombes, que tu te révoltes contre des rochers qui font obstacle à tes ondes, libres jusque-là, c’est alors que tu menaces les astres de ton écume ; tout frémit au bruit de tes vagues ; la montagne gronde longuement et les flots violentés font blanchir le fleuve sous l’écume. Au-delà, recevant le premier choc du torrent déchaîné, c’est Abatos, la large roche ainsi nommée par une vénérable tradition, et ces écueils qu’on a voulu appeler les veines du fleuve, parce qu’ils fournissent les premiers signes annonçant clairement de nouvelles crues. À partir de là, la nature a dressé des montagnes autour de tes ondes errantes et les refuser, ô Nil, à la Libye : au fond de la vallée qui s’ouvre entre leurs flancs, elles s’avancent dans le silence de leur débit retrouvé. Memphis est la première qui te livre ses plaines et t’ouvre ses campagnes, en empêchant les rives de mettre une limite à tes débordements. »
Lucain, La Pharsale, X, 53-331