Avoir écrit un manuel encore en usage après un demi-siècle et traduit en plusieurs langues ne constitue sans doute pas une réussite unique en soi ; néanmoins, aucun de ses deux auteurs n’eût osé la prédire. Alors que le présent ouvrage entre dans la sixième décennie de son existence, le moment pourrait être venu d’évoquer les circonstances qui ont présidé à sa genèse.
À l’origine, le projet de ce livre ne vient pas de ses auteurs. La suggestion initiale fut donnée par l’enseignant d’un petit établissement secondaire auquel s’était adressé un élève – d’évidence intelligent –, souhaitant qu’il lui recommandât un résumé facile à lire des étapes à travers lesquelles la littérature grecque et latine a été transmise de l’Antiquité aux temps modernes. La question semblait sans réponse : le niveau d’études requis par le Companion to classical texts de F. W. Hall était en effet trop élevé. L’enseignant du secondaire eut alors une idée brillante : il écrivit à Peter Spicer, qui dirigeait à ce moment le département d’Oxford University Press en charge des manuels scolaires, pour demander s’il pouvait trouver qui pallierait ce manque. C’est ainsi que Spicer contacta mon collègue Leighton Reynolds, tutor de lettres classiques au Brasenose College, qui avait montré son intérêt pour la question dans une contribution sur la transmission de Sénèque le philosophe. Leighton comprit aussitôt l’importance de cette requête, mais estimait ne pas pouvoir s’acquitter de la transmission des textes grecs : voilà pourquoi il m’appela un jour pour me proposer un entretien et me montra la lettre de Spicer. Il nous apparut d’emblée qu’une invitation aussi flatteuse représentait certes un défi, mais aussi que l’ouvrage, s’il se montrait à la hauteur, serait précieux pour les étudiants et non moins, sans doute, pour les collègues.
Malgré nos nombreuses occupations en tant que tutorial fellows dans les collèges d’Oxford, nous prîmes la décision d’entamer immédiatement ce travail. Eu égard à nos centres d’intérêt, la répartition des tâches s’avérait en principe évidente, mais j’envahis le domaine de Leighton en rédigeant le paragraphe sur Érasme, tandis que Leighton esquissa l’introduction à la critique textuelle. La première édition parut en 1968 : un maigre volume broché dont le prix, même à l’époque, était remarquablement bas, ainsi que le fit observer un de nos recenseurs au moins. En l’espace de quelques mois, il fut reconnu comme un manuel de valeur et les collègues italiens en demandèrent vite une traduction qui fut entreprise avec toute sa compétence par Mirella Ferrari. Des traductions dans d’autres langues suivirent, la plus récente étant celle en caractères chinois simplifiés.
La première édition ne comportait pas de notes. Mais on fit valoir que de nombreux lecteurs auraient apprécié des recommandations ultérieures ; nous préférâmes aux usages consacrés l’ajout d’un supplément indiquant les contributions importantes dans ce domaine et des lectures d’approfondissement – solution qui eut l’heur de plaire. Une deuxième édition amplement accrue parut en 1974 et fut suivie de la troisième, en 1991, proposée aussi en édition cartonnée.
La disparition relativement précoce de Leighton en 1999, alors qu’il venait seulement de prendre sa retraite, m’a laissé avec un devoir qu’une considération réaliste m’empêchait de mener à bien en solitaire. Lorsque, après un long intervalle, les progrès de la recherche firent sentir le besoin d’une nouvelle édition, j’eus la grande chance de recevoir l’aide et les conseils de Michael Reeve.
La décision de procéder parallèlement à une version révisée de l’édition française augmente ma confiance en ce que notre contribution commune à ce domaine d’études continuera d’exercer son influence pour un temps encore.
Nigel Wilson
(février 2020)
D'Homère à Érasme - La transmission des classiques grecs et latins est à retrouver en librairie !