Ovide, le plus jeune des poètes augustéens, est connu comme le « clerc de Vénus » : c'est d'ailleurs à cette déesse qu'il s'adresse au début du chant IV de ses Fastes, poème mythologique qui relate les origines des mois et des fêtes du calendrier romain : "Alma, faue", dixi, "geminorum mater Amorum !", « Sois-moi propice, dis-je, douce mère des deux Amours ! ». Et si Romulus a fait le choix d'octroyer le patronage du premier mois à son père, Mars, c'est à une déesse qu'il attribue le second : la figure de Vénus, déesse de l'amour par excellence, est donc associée aux premiers jours du printemps. La Vie des Classiques vous propose aujourd'hui de lire le vibrant éloge qu'Ovide lui chante.
Quo non liuor abit ? Sunt qui tibi mensis honorem
Eripuisse uelint inuideantque, Venus.
Nam quia uer aperit tune omnia densaque cedit
Frigoris asperitas fetaque terra patet,
Aprilem memorant ab aperto tempore dictum
Quem Venus iniecta uindicat alma manu.
Illa quidem totum dignissima temperat orbem ;
Illa tenet nullo regna minora deo
Iuraque dat caelo, terrae, natalibus undis
Perque suos initus continet omne genus.
Illa deos omnes (longum est numerare) creauit,
Illa satis causas arboribusque dedit,
Illa rudes animos hominum contraxit in unum
Et docuit iungi cum pare quemque sua.
Quid genus omne creat uolucrum, nisi blanda uoluptas ?
Nec coeant pecudes, si leuis absit amor.
Cum mare trux aries cornu decertat, at idem
Frontem dilectae laedere parcit ouis ;
Deposita sequitur taurus feritate iuuencam,
Quem toti saltus, quem nemus omne tremit ;
Vis eadem lato quodcumque sub aequore uiuit
Seruat et innumeris piscibus implet aquas.
Prima feros habitus homini detraxit : ab illa
Venerunt cultus mundaque cura sui.
Primus amans carmen uigilatum nocte negata
Dicitur ad clausas concinuisse fores
Eloquiumque fuit duram exorare puellam
Proque sua causa quisque disertus erat.
Mille per hanc artes motae studioque placendi
Quae latuere prius multa reperta ferunt.
Hanc quisquam titulo mensis spoliare secundi
Audeat? A nobis sit furor iste procul.
Quid quod ubique potens templisque frequentibus aucta,
Vrbe tamen nostra ius dea maius habet ?
Pro Troia, Romane, tua Venus arma ferebat,
Cum gemuit teneram cuspide laesa manum ;
Caelestesque duas Troiano iudice uicit
(Ah nolim uictas hoc meminisse deas !) ;
Assaracique nurus dicta est, ut scilicet olim
Magnus luleos Caesar haberet auos.
Nec Veneri tempus quam uer erat aptius ullum :
Vere nitent terrae, uere remissus ager ;
Nunc herbae rupta tellure cacumina tollunt,
Nunc tumido gemmas cortice palmes agit ;
Et formosa Venus formoso tempore digna est
Vtque solet, Marti continuata suo est.
Vere monet curuas materna per aequora puppes
Ire nec hibernas iam timuisse minas.
Jusqu'où ne va pas l'envie ? Il y a des gens qui, par jalousie, veulent t'enlever le patronage du mois, Vénus. Parce que le printemps ouvre alors toutes choses, que le froid glacial perd son âpreté, que la terre fécondée s'épanouit, ils soutiennent qu'avril tire son nom de l'ouverture de la saison ; mais la douce Vénus le revendique en y mettant la main. C'est elle la plus digne de régir l'ensemble du monde ; c'est elle qui possède un royaume qui ne le cède à celui d'aucun autre dieu ; elle confère leurs lois au ciel, à la terre, aux ondes dont elle est née, et par ses incitations elle maintient l'ensemble des êtres. C'est elle qui a créé tous les dieux (les énumérer serait trop long). C'est elle qui vivifie les plantes et les arbres ; c'est elle qui a engagé les hommes au coeur fruste à s'associer et appris à chacun à s'unir avec sa compagne. Qu'est-ce qui donne naissance à toutes les espèces d'oiseaux, sinon la délectable volupté ? Les animaux non plus ne s'apparieraient pas, n'était la tendresse de l'amour. Le bélier se bat farouchement à coups de cornes avec un autre mâle, mais il se garde bien de blesser le front de sa chère brebis ; le taureau abandonne sa sauvagerie pour suivre la génisse, lui qui fait trembler l'ensemble des pâturages et toutes les forêts. La même puissance sauvegarde tous les êtres qui vivent sous la vaste surface de la mer et remplit les eaux d'innombrables poissons. C'est la déesse qui, la première, libéra l'homme de son aspect sauvage : c'est d'elle que sont venus la parure et les soins de la toilette. C'est un amant le premier qui fit entendre, dit-on, un chant, en veillant devant la porte close de celle qui lui avait refusé la nuit. L'éloquence consistait à vouloir fléchir une amante cruelle et chacun était assez doué pour plaider sa propre cause. C'est elle qui promut mille arts ; le goût de plaire suscita, dit-on, de nombreuses découvertes, jadis insoupçonnées. Et on voudrait priver cette déesse de ses droits sur le second mois ? Loin de nous cette folie !
Pourquoi, alors que sa puissance s'exerce partout et que de nombreux sanctuaires lui font honneur, la déesse jouit-elle pourtant dans notre cité d'une autorité plus grande ? C'est que Vénus portait les armes pour défendre ta Troie, Romain, quand une javeline la fit gémir en blessant sa tendre main. C'est un juge troyen qui lui accorda la victoire sur deux déesses (ah, puissent celles-ci oublier cette défaite !). Elle se laissa appeler belle-fille d'Assaracus, pour qu'un jour, bien sûr, le grand César pût se réclamer d'ancêtres juliens.
A Vénus, aucune saison n'était plus appropriée que le printemps : c'est au printemps que resplendit la terre, au printemps que s'amollissent les champs ; alors les herbes percent le sol et dressent leurs pointes ; alors les bourgeons poussent sur l'écorce gonflée du sarment ; la belle Vénus mérite la belle saison et, comme d'habitude, elle est liée à son cher Mars. Au printemps, elle invite les nefs courbes à prendre la mer, qui la vit naître, et à ne plus craindre les menaces de l'hiver.
Ovide, Fastes, IV, v. 85-132
C.U.F., Les Belles Lettres
ed. et trad. Robert Schilling