Sénèque, Hercule furieux, 205-259 traduction Olivier Sers (Classique en Poche 2013)
Mégare, compagne d’Hercule confie son tourment à Amphitryon
Mégare. – Ô grand roi de l’Olympe et arbitre du monde,
Fixe en n sa limite à ce fardeau d’épreuves,
Leur terme à ces fléaux. Jamais nul jour paisible
N’a lui pour moi. La fin d’un malheur vers un autre
N’est qu’un degré. Sitôt rentré, on lui suscite
Un défi neuf, avant qu’à son foyer joyeux
Il ait même touché, on le renvoie en guerre,
Pour tout repos le temps d’ouïr un nouvel ordre.
Ah ! qu’elle le harcèle, et d’emblée l’a haï,
L’implacable Junon ! Son berceau fut-il même
Indemne de périls ? Il a vaincu des monstres
Avant qu’il les connût. deux serpents porte-crête
Vont à lui, nouveau-né. Il rampe à leur rencontre,
Fixant paisiblement d’un œil calme et tranquille
Les regards enflammés du couple de reptiles,
Subit d’un air serein les nœuds dont ils l’enserrent,
Et sa petite main pressant leurs cous gonflés
L’entraîne à vaincre l’hydre. Au Ménale une biche
Portait des cornes d’or, preste, ère et sauvage.
Il la prit à la course. Un lion effraie Némée,
Il rugit, étouffé par ses bras musculeux.
L’horreur des écuries de Bistonie, le roi
donné à paître à ses chevaux, faut-il les dire ?
L’hirsute sanglier ménalien, ravageur
des arbres d’Arcadie et des bois d’Érymanthe,
Et le pesant taureau, frayeur de cent cités ?
Dans l’Hespérie lointaine, aux rives du Tartèse,
Un berger à trois corps garde de grands troupeaux.
Il le tue, et, raflé à l’Extrême-Occident,
Son bétail d’Océan paît sur le Cithéron !
Sommé d’aller rôtir dans les zones torrides
Brûlées des feux ardents du soleil méridien,
Il ouvre à l’Océan, rompant de deux montagnes
La digue, un large espace où se précipiter,
Puis, d’un riche jardin attaquant les ramures,
S’empare des fruits d’or que gardait un serpent.
Quoi ! Au monstre de Lerne, à ce fléau multiple,
Le vainquant par le feu, apprit-il pas la mort ?
Fit-il pas choir des nues les oiseaux du Stymphale
dont l’aile déployée obscurcissait le jour ?
Invaincu par la reine au lit toujours veuf d’homme,
Qui règne, vierge, au bord du Thermodon, il ose,
de sa glorieuse main toujours prête aux faits d’armes,
Le nettoyage infect des écuries d’Augias !
Mais à quoi bon ? Sauveur du monde, il n’en jouit pas. Pacifiée par lui, la terre tristement
L’a vu partir. Le crime, heureux et triomphant,
A nom vertu, le bon obéit au méchant,
Les armes font le droit, la peur contient la loi.
Mes yeux ont vu tomber, défendant de mon père
Le royaume, ses ls sous une main cruelle,
Et lui, dernier du sang du très noble Cadmus,
Tué. J’ai vu ravir sa tête et sa couronne.
Qui donc pourrait assez pleurer le sort de Thèbes ?
Terre fertile en dieux, sous quel chef trembles-tu ?