Que nous dit Ménandre de la société de son temps ? La réponse par la grande historienne Claude Mossé dans l'Introduction au Dyscolos (p. 72-74).
On le voit, le « peuple de Ménandre » n’est plus tout à fait le « peuple d’Aristophane », même si le lieu de l’intrigue est toujours le même. Les continuités certes existent : la terre, la citoyenneté, l’institution familiale. Mais les ruptures n’en sont pas moins sensibles : l’absence de vie politique, la richesse vite acquise, une certaine autonomie des personnages féminins, épouses, filles ou courtisanes, une certaine désinvolture aussi des jeunes gens face aux pères demeurés plus traditionnels, la présence plus sensible des étrangers. Est-ce à dire que les clivages que j’évoquais en commençant, qui séparaient libres et non libres, citoyens et étrangers, étaient sur le point de disparaître ? On a vu qu’il n’en était rien dans le premier cas. Ce n’est pas parce que les esclaves parlent plus librement qu’ils sont plus libres, et l’institution servile n’est jamais remise en question. La réponse est plus délicate dans le second cas. Les dernières décennies du ive siècle en effet sont marquées par l’octroi plus généreux de privilèges à des étrangers, la citoyenneté parfois, mais surtout l’enktésis gès kai oikiou, le droit de posséder terre et maison, et aussi l’épigamie, le droit de contracter un mariage légal. Mais cela n’implique pas un élargissement de la citoyenneté. On a vu au contraire que les dispositions prises en 322 puis en 317 visaient à restreindre ce privilège aux seuls possesseurs d’un certain montant de fortune. Mais c’est là précisément un fait nouveau, l’argent comme critère d’accès à la citoyenneté, ce qui bien entendu tend à créer de nouveaux clivages, entre riches et pauvres cette fois. Il faut toutefois se garder de tirer de cet état de choses des conclusions excessives. Car si l’on n’accorde la citoyenneté qu’à quelques étrangers riches, ce sont des milliers de citoyens pauvres qui perdent leur capacité civique : les uns ne prennent pas la place des autres. Mais surtout, et c’est peut-être là le fait essentiel, dans une Athènes privée désormais de toute indépendance, placée sous le contrôle d’une garnison macédonienne, cette citoyenneté s’est en partie vidée de son contenu politique. Certes, assemblée et conseil se réunissent toujours, et l’on procède chaque année à la désignation des magistrats. Mais la fonction politique des uns et des autres est plus formelle que réelle. La citoyenneté qu’Aristote définissait comme une fonction active n’est plus désormais qu’un statut passif, commun aux hommes et aux femmes de naissance athénienne, et qu’il n’est pas scandaleux d’octroyer à un étranger ou à un nothos, un enfant illégitime. Témoin de ces réalités nouvelles, Ménandre ne les accepte ni ne les condamne. Mais elles lui fournissent matière à développer des intrigues où les spectateurs athéniens pouvaient se reconnaître.