Si Aspasie devint le modèle même de l’intellectuelle, d’autres hétaïres se distinguèrent par leur culture exceptionnelle. Parmi elles, Léontion fréquenta l’école du philosophe Épicure, dont elle devint la compagne. Cicéron nous dit qu’elle écrivit elle-même un traité. Au Jardin, elle apprit non seulement l’hédonisme épicurien, mais aussi la médisance. Chez Alciphron elle se plaint auprès de la courtisane Lamia : c'est cette lettre que La Vie des Classiques vous propose aujourd'hui de lire.
Il n’y a rien de plus difficile à contenter, apparemment, qu’un vieillard qui vient de se remettre à faire le jeune homme. Quel traitement il me fait subir, cet Épicure de malheur ! il critique tout, il soupçonne tout, il m’écrit des lettres indéchiffrables et me chasse de son Jardin. Non, par Aphrodite, même si c’était Adonis (et il a déjà presque quatre-vingts ans !), je ne supporterais pas ce pouilleux, cet éternel malade, tout enveloppé de toisons brutes en guise de lainages. Combien de temps encore tolérera-t-on ce Philosophe ? Qu’il garde ses systèmes sur la nature et ses principes biscornus, et qu’il me laisse, moi, maîtresse de moi-même, comme le veut la Nature, sans colère ni violence. C’est à un véritable siège qu’il me soumet, et il ne ressemble pourtant pas à ton Démétrios, Lamia. Est-ce qu’avec un pareil personnage on peut vivre vertueusement ? Il veut imiter Socrate, faire des phrases à tout propos et même pratiquer l’ironie ; il tient Pythoclès pour une sorte d’Alcibiade et il croit que je jouerai Xanthippe. Mais voici comment cela va finir : je m’en irai n’importe où, je fuirai de terre en terre plutôt que de supporter ses lettres interminables.
Alciphron, Lettres de pêcheurs, de paysans, de parasites et d’hétaïres, IV, 17
La Roue à Livres, Les Belles Lettres
trad. Anne-Marie Ozanam