Anthologie - La métamorphose d'Hécube

31 août 2018
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Comment Hécube se transforme-t-elle en monstre hurlant ? Tout commence ici dans les  Métamorphoses d'Ovide :

On nous enlève, Troie, adieu ! crient les Troyennes,
Baisant le sol, laissant leurs demeures fumantes.

Poignant spectacle, Hécube embarque la dernière.
La trouvant au milieu des tombeaux de ses fils,
Pressant leurs tumulus, baisant leurs ossements,
Ulysse l’empoigna. Elle emporte d’Hector
La cendre sur son sein, déterrée de sa tombe
Sur laquelle elle laisse, offrande dérisoire,
Des cheveux blancs coupés, des cheveux et des larmes.
En Bistonie, face à la Phrygie où fut Troie,
Est le palais du roi Polymestor. Ton père,
Polydore, en secret voulut qu’il t’y nourrît
Loin des combats phrygiens, précaution judicieuse
S’il n’eût joint au dépôt d’opulentes richesses,
Prime à l’assassinat, appât d’un coeur cupide.
Dès que Troie succomba, l’impie souverain Thrace,
Empoignant une épée, égorgea son pupille,
Et croyant qu’on supprime un crime avec un corps
Jeta d’un haut rocher le cadavre dans l’onde.
L’Atride a amarré ses nefs aux rives thraces,
Attendant la bonace et le vent favorable.
Le sol s’ouvre d’un coup, et Achille en surgit,
Aussi grand que vivant, l’air menaçant, semblable
À l’Achille emporté d’une injuste fureur
Qui attaqua Agamemnon le fer en main.
Partiriez-vous, crie-t-il, oubliant ma vaillance,
Enterrant avec moi ce que vous lui devez ?
Arrêtez, Achéens ! Honorez mon tombeau,
Immolez Polyxène et apaisez mes mânes !
Il dit. On obéit à cette ombre cruelle.
Seule ou presque à bercer sa mère de tendresse,
La vierge infortunée, plus forte qu’une femme,
Est conduite en victime au sinistre tombeau.
N’oubliant pas son rang face au barbare autel,
Sentant ce qui s’apprête et qu’on va l’égorger,

Voyant, debout et fer en main, Néoptolème,
Et lui voyant les yeux fixés sur son visage :
Use sans plus tarder de mon généreux sang,
Poignarde, n’attends pas, ma gorge ou ma poitrine,
Dit-elle, découvrant gorge et poitrine ensemble,
Je ne saurais, moi Polyxène, être une esclave,
Et vous n’apaiseriez ce faisant aucun dieu.
Mais du moins, que ma mère ignore mon trépas,
Quoiqu’elle ait à pleurer moins ma mort que sa vie,
Elle seule atténue ma joie d’être tuée.
Laissez-moi aller libre au Styx et chez les mânes,
Au large, c’est justice, épargnez vos mains d’hommes
À mon corps virginal, car quel que soit celui
Que vous cherchez à apaiser en m’abattant,
Un sang libre plaît mieux. Si l’ultime prière
De la fille du roi, non de votre captive,
Vous émeut, que mon corps soit rendu à ma mère
Sans autre or que ses pleurs pour rançon de ma tombe.
Tant qu’elle put, son or aussi sut les payer.
Elle a dit, retenant des larmes que le peuple
Ne retient pas. Le prêtre, en sanglotant lui-même,
Plonge à regret le fer dans sa poitrine offerte,
Ses jarrets plient, elle s’affaisse au sol, montrant
Jusqu’à son dernier souffle un visage intrépide,
Ayant soin d’ajuster ses voiles décemment
Pour garder en tombant une chaste pudeur.
En recueillant son corps les Troyennes recomptent
Que de morts on pleura du sang du seul Priam,
Gémissent sur toi, vierge, et toi, mère de princes,
Femme de roi naguère, et de l’Asie en fleur
Image, aujourd’hui lot de rebut dont Ulysse
Vainqueur n’eût pas voulu, n’eusses-tu enfanté
Hector, qui vaut un maître à grand-peine à sa mère.

Métamorphoses, XIII, 420-487