Le Phénix est un oiseau tellement merveilleux qu’il fascine et inspire celui que la postérité a pourtant surnommé le « Cicéron chrétien », Lactance (250-325 de notre ère).
Il y a, retiré aux marches de l’Orient, un lieu béni
Où du ciel éternel s’ouvrent les larges portes.
Il ne connait ni le levant de l’été ni celui de l’hiver
Mais rayonne des beaux jours du printemps.
En ce lieu, un plateau déploie ses plaines découvertes :
Nul tertre n'y surgit, nul vallon ne s'y creuse,
Mais les monts de chez nous, que nous jugeons si hauts
De deux fois six coudées ce plateau les dépasse.
Ici se trouve le vallon arboré du Soleil et ses bois sacrés
Il a reçu l’honneur d’être d’arbres innombrables, toujours verts
Quand le monde s’embrasait, brûlé par Phaéton,
Ce lieu seul demeura à l'abri de ses flammes ;
Et lorsque le déluge eut recouvert le monde, à l’époque de de Deucalion,
Ce lieu seul émergea des eaux.
Ici n’existent ni la maladie blême , ni la vieillesse douloureuse
Ni la mort cruelle ni la peur farouche n’y ont place
On ne voit ni le crime abominable ni la soif du pouvoir
Le feu et la folie de l’amour en sont absents
De même le chagrin et la noire indigence
Les amers soucis et la faim criminelle.
Là, jamais de tempête et jamais d'ouragan,
Jamais de gel couvrant de givre blanc la terre;
Point de nuage sombre étendant sa toison,
Point d'averse tombant de la voûte du ciel.
Mais au centre jaillit une source d'eau vive,
Limpide et toujours calme, abondante en eaux douces,
Qui, débordant soudain au cours de chaque mois,
Inonde le bosquet douze fois par année.
Là des arbres dressés sur leurs fûts élancés,
Portent des fruits bien mûrs qui ne tombent jamais.
C’est dans ces bois sacrés que vit l’oiseau unique, le phénix
Unique car chaque mort le fait renaître,
Illustre et fidèle acolyte de Phébus.
La Nature, qui l’a enfanté, lui a accordé cette faveur.
Trois fois quatre fois l’oiseau saint baigne son corps dans les eaux du ruisseau
Trois fois quatre fois il goûte à ses eaux vives
Puis il s’envole jusqu’à la cime la plus élevé de l’arbre le plus grand
Regarde de haut l’ensemble des bois
Et, tournée vers les nouveaux rayons du Phébus qui s’éveille
Il guette l’aube et les premiers rayons qui approchent.
Puis, lorsque le soleil heurte le seuil splendide
Et que point le reflet de la prime lumière,
L'oiseau commence alors un chant religieux,
Appelant par sa voix les nouvelles clartés.
Ni la voix ni la flûte harmonieuse d’Aédonie
De leurs sons cirrhéens n'égalent ses accents ;
Ni le cygne mourant, ni les cordes sonores
De la lyre cylénienne ne pourraient l'imiter.
Mais après que Phébus à lâché ses coursiers,
Et que, toujours montant, il dévoile son disque,
En son honneur l'oiseau par trois fois bat des ailes,
Saluant le soleil par trois fois, il se tait.
C'est lui aussi qui marque aussi les heures qui s'envolent,
Nuit et jour, par des sons qui ne trompent jamais.
Il est prêtre des bois et gardien du bosquet,
Et le seul qui connaisse, ô Phébus, tes arcanes.
Dès qu'il a parcouru mille ans de sa vie,
Dès que sa longue existence a rendu lourd son corps,
Afin de retrouver la jeunesse perdue en remontant le temps
Il quitte le doux nid que lui donnent les bois.
Et lorsqu’il quitte ces lieux saints porté par le désire de renaître
Il gagne notre monde où la mort est maîtresse.
Vif en dépit des ans, il s’envole en Syrie
Qui reçut de l'oiseau son nom de Phénicie.
Il y cherche un bois isolé à travers les terres désertes
Où se trouve une forêt cachée par les vallons
Alors il choisit, pointant sa cime vers le ciel, un palmier
De l’espèce à laquelle il a donné son nom.
Nul animal ne peut escalader ses branches
Ni le serpent sournois ni l’oiseau de proie.
Alors Éole enferme les vents dans leur outre
De peur qu’ils n’abiment le ciel de leur souffles violents
Ou qu’un nuage porté par le vent familier à travers les cieux vides
Ne masque le soleil et ne nuise à l’oiseau.
Celui-ci se construit son nid ou son sépulcre,
Car s’il meurt, c’est pour vivre, et c’est lui qui se crée. Il va chercher alors dans la riche forêt
Les parfums d’Arabie et les sucs d’Assyrie,
Ceux qui viennent de l’Inde et ceux que le Pygmée Cueille dans son pays, et ceux de la Sabée:
Le cinname et l’amome au souffle parfumé,
Il les assemble avec les feuilles balsamiques ;
La casse à l’odeur douce et l’acanthe embaumée,
Et les larmes d’encens tombant en lourdes gouttes, Il les joint aux épis encore tendres du nard,
Avec la panacée et l’essence de myrrhe.
Il installe en ce nid son corps qui va changer,
Et sur ce lit de vie il se livre au repos.
Puis, de son bec, il répand sur ses membres
Les sucs dont les parfums embaumeront sa mort
Parmi tant de senteurs, enfin, il rend l'âme ;
Et sans crainte d’offrir à la fin l’enveloppe qu’il a déposée.
Pendant ce temps son corps détruit par une mort qui le régénère
S’illumine, et sa chaleur elle-même fait jaillir des flammes.
Du ciel lointain un rayon vient l’atteindre:
Son corps s’embrase et bientôt il est réduit en cendre.
Puis, comme dans la mort, un tas se forme avec ses cendres
Mais qui donne la vie.
On dit que de là sort un animal sans membres
A la couleur laiteuse comme certains vers.
Il grandit pendant un temps déterminé,
Puis se ramasse et prend la forme d’une sphère.
Ainsi il retrouve sa forme originaire
Et le Phénix renaît de son cocon brisé,
Tout comme d’ordinaire les chenilles des champs, quand elles s’’attachent par un fil à un rocher,
Se changent en papillon.
Les fruits de notre monde lui sont interdits;
Petit, nul n'est commis au soin de le nourrir.
Il goûte la fine rosée d’ambroisie et le nectar céleste
Tombés du ciel étoilé.
Tels sont les mets parfumés dont l’oiseau se sustente,
En attendant son entière croissance.
Dès que fleurit pour lui la prime adolescence
Il s’envole à nouveau vers sa patrie pour rejoindre sa demeure.
Non sans avoir auparavant, avec ce qui reste de ses os ses cendres et sa propre dépouille
Fait une boule avec son son bec pieux
Et l’avoir enveloppée de pommade, de baume, de myrrhe et d’encens.
La tenant dans ses serres, l’oiseau s’élance en direction du Levant
Et la dépose sur l’autel d’un temple sacré
Il attire sur lui tous les regards et les offrandes de tous
Tant sa splendeur et grande et son prestige immense.