Voici quelques bons mots de Cicéron rapportés par Macrobe dans ses Saturnales.
1. Personnellement je m’étonne que, tous, vous ayez omis de citer les bons mots de Cicéron, genre dans lequel il excella comme dans tous les autres et, si cela vous semble bon, comme le préposé d’un temple vante les oracles de sa divinité, je vais citer les bons mots de Cicéron, qui se présenteront à ma mémoire. Alors devant un auditoire attentif à l’écouter, il commence ainsi :
2. – Cicéron dînait chez Damasippe ; celui-ci avait servi un vin médiocre et disait : « Buvez donc ce Falerne ; il a quarante ans. » « Il porte bien son âge », rétorqua Cicéron.
3. Le même Cicéron voyant son gendre Lentulus qui était de petite taille, armé d’une longue épée, demanda : « Qui a attaché mon gendre à une épée ? »
4. Et son frère Quintus ne fut pas à l’abri des mêmes railleries mordantes. En effet, visitant la province dont Quintus avait été gouverneur, il vit le portrait en buste de son frère, représenté sur un bouclier, avec des traits agrandis selon la loi du genre, – or Quintus était personnellement de petite taille – et s’exclama : « La moitié de mon frère est plus grande que mon frère tout entier. »
5. À l’occasion du consulat de Vatinius, dont l’exercice ne dura que quelques jours, circulait un mot célèbre de Cicéron : « Un grand prodige s’est produit l’année de Vatinius, dit-il, en effet sous son consulat, on ne vit ni hiver, ni printemps, ni été, ni automne. » Puis à Vatinius qui s’était plaint qu’il n’était pas venu le voir pendant sa maladie, il répondit : « J’ai voulu venir pendant ton consulat, mais la nuit m’a surpris. » Visiblement Cicéron se vengeait car il se souvenait que, alors qu’il se vantait d’être revenu d’exil porté sur les épaules de l’Italie, Vatinius avait répliqué : « Comment ? Tu as des varices ? »
6. De même Caninius Rébilus, qui ne fut consul qu’une journée, comme l’a déjà rapporté Servius, monta à la tribune et en même temps entra et sortit de charge, ce qui inspira à Cicéron, qui ne manquait pas une occasion de faire de l’esprit, l’attaque suivante : « Caninius est un consul théorique » (logotheôrêtos : perceptible seulement à l’intelligence) ; et encore : « Rébilus a obtenu que l’on se demandât sous quels consuls il a été consul ? » Il ne manqua pas en outre de dire : « Nous avons eu un consul vigilant en Caninius qui n’a pas fermé l’œil pendant son consulat. »
7. Pompée eut à souffrir des bons mots de Cicéron. On rapportait les traits suivants : « Personnellement, je sais bien qui fuit, mais non pas qui suivre. » Cependant, comme il avait rejoint le parti de Pompée, à ceux qui lui disait qu’il était venu trop tard, il répondit : « Je n’arrive pas du tout trop tard, car je ne vois ici rien de prêt. »
8. Ensuite, à Pompée qui lui demandait où était son gendre Dolabella, il répondit : « Avec ton beau père. » Une autre fois, comme Ompée avait accordé à un transfuge le droit de cité : « Quel homme aimable !, dit-il. Aux Gaulois, il promet le droit de cité chez les autres, lui qui ne peut nous rendre notre propre cité. » Aussi le mot de Pompée semblait-il justifié : « Je souhaite que Cicéron passe à nos ennemis, pour qu’il nous craigne. »
9. Contre César aussi, Cicéron, par son ironie mordante, eut la dent dure. Tout d’abord, après la victoire de César, comme on lui demandait pourquoi il s’était trompé dans le choix de son parti, il répondit : « La manière de ceindre la toge m’a abusé », et la plaisanterie visait César, qui portait la toge de façon à donne à sa démarche un air efféminé en laissant traîner un pan, au point que Sylla, par un sentiment prémonitoire, dit à Pompée : « Prends garde à ce garçon qui serre mal sa toge. »
10. Voici un aitre bon mot. Lorsque Labérius, à la fin de la représentation, reçut de César les honneurs de l’anneau d’or et voulut regagner aussitôt les quatorze gradins pour occuper parmi les spectateurs un rang qu’il avait déshonoré, lui qui avait été exclu et aussitôt rétabli dans l’ordre équestre, Cicéron lu adressa la parole, comme il passait devant lui à la recherche d’une place : « Je t’aurais volontiers fait une place, si je ne me trouvais moi-même assis à l’étroit. » En même temps il écartait Labérius et il raillait le nouveau Sénat dont César avait augmenté le nombre au mépris du droit. Mais bien mal lui en prit, car Labérius rétorqua : « Il est étonnant que tu sois assis à l’étroit, toi qui es habituellement assis sur deux sièges. » Il blâmait ainsi l’inconstance de Cicéron, inconstance qui s’attachait injustement, pour la ternir, à la réputation de cet éminent citoyen.
11. Une autre fois encore, Cicéron se moqua publiquement de la facilité avec laquelle César choisissait de nouveaux sénateurs. À son hôte Publius Mallius qui lui demandait de faire obtenir à son beau-fils la dignité de décurion, il répondit, en présence d’une assistance nombreuse : « À Rome, si tu veux, il l’obtiendra ; mais à Pompéi, c’est difficile. »
12. Mais sa verve mordante ne se cantonna pas dans ces limites : de fait un jour qu’un certain Andron de Laodicée était venu le saluer, lui ayant demandé la raison de sa venue et l’ayant apprise – en effet, il répondit qu’il avait été député auprès de César pour plaider la liberté de sa patrie –, Cicéron fit allusion en ces termes à l’esclavage de ses propres citoyens : « Si tu obtiens gain de cause, intercède aussi pour nous. »
13. Cicéron déployait une verve grave et allant au-delà du simple badinage, comme le montre ce passage tiré d’une lettre à Caius Cassius meurtrier du dictateur : « J’aurais voulu être invité à votre table aux Ides de Mars ; certainement il n’y aurait pas eu de restes ; c’est ce que vous avez laissé qui est maintenant une épreuve pour moi. » L’esprit de Cicéron s’exerça également avec éclat sur son gendre Pison et sur Marcus Émilius Lépide.
14. Symmaque parlait encore et, à ce qu’il semblait, allait enchaîner quand Aviénus, comme il arrive habituellement dans les propos de table, l’interrompit : – Auguste non plus, dans ce genre de traits caustiques ne le cède à personne et peut-être même pas à Cicéron et, si cela vous agrée, je vais vous citer quelques traits que ma mémoire me fournit.
15. Alors Horus : – Mon cher Aviénus, laisse Symmaque exposer les bons mots de Cicéron sur les personnages qu’il avait nommés et les mots d’Auguste s’enchaîneront plus naturellement.
16. Devant le silence d’Aviénus, Symmaque reprit : – Comme son gendre Pison s’avançait avec une démarche efféminée et sa fille au contraire d’un pas décidé ; il dit à sa fille : « Avance comme un homme. » Et comme Lépide au Sénat avait dit aux pères conscrits (…), Cicéron fit remarquer : « Personnellement je n’aurais pas fait si grand cas d’une homoeoptote. » Mais à toi de parler, Aviénus, je ne veux pas te retarder davantage, toi qui brûles de prendre la parole.
Macrobe, Les Saturnales III, 3