Avant la rentrée, la passion communicative d'un enseignant pour sa discipline et son métier : ça fait du bien !
Extrait de Mordicus. Ne perdons pas notre latin ! publié aux éditions Les Belles Lettres :
Enseigner le latin, nous l’avons vu, n’est pas une sinécure, tant les représentations qui lui sont attachées sont erronées, et tant cette discipline est soumise aux vicissitudes politiques et idéologiques au niveau national aussi bien que local. Même si j’ai longuement évoqué la difficile tâche des enseignants de lettres classiques, il ne faut pas oublier ceux grâce auxquels cette noble mission ne tourne pas au pensum : les élèves latinistes auxquels je dois rendre hommage ici – car ce sont eux, les véritables héros.
Un élève qui choisit aujourd’hui de suivre un enseignement de latin a cent fois plus de mérite qu’un élève latiniste d’il y a cinquante, trente ou même seulement vingt ans. Autrefois, faire ses humanités au collège puis au lycée s’inscrivait dans une simple logique de classe. Aujourd’hui, étudier le latin est un véritable engagement personnel qui relève parfois du parcours du combattant et requiert chez les élèves une détermination, une force de caractère et une indépendance d’esprit quasi héroïques.
Le premier geste héroïque de ces élèves est déjà de s’inscrire en latin alors que tant de raisons pourraient les en détourner. Il n’y a pas si longtemps, les parents inscrivaient d’office leur rejeton en latin et ce dernier ne trouvait généralement rien à y redire. Aujourd’hui, les parents ayant à la fois conscience de l’intérêt, pour l’avenir de leur progéniture, de l’apprentissage d’une langue ancienne, mais aussi une autorité suffisante sur leurs enfants pour les contraindre à suivre un enseignement optionnel pendant trois longues années ne sont plus légion. On s’en rend compte assez vite, en réalisant, le jour de la rentrée, un petit sondage auprès des élèves de 5e sur les raisons réelles qui les ont poussés à choisir cette option. Ces quinze dernières années, j’ai vu la proportion d’élèves qui prétendent avoir été forcés à s’inscrire par leurs parents se réduire à peau de chagrin.
Avec le latin, le sens étymologique du mot « option » (du verbe latin optare, 1. « examiner avec soin, choisir », 2. « souhaiter ») prend tout son sens. Les nouvelles générations font du latin non par contrainte mais par choix personnel et volontaire. Mieux encore, on voit régulièrement des élèves qui s’inscrivent au cours de latin contre la volonté de leurs parents, qui la plupart du temps ne souhaitent pas que leur enfant suive cet enseignement de latin, par déterminisme familial, par autocensure. Quel courage il faut, en effet, à un enfant de douze ans pour dire, contre l’avis de ses parents, qu’il sera le premier de la famille à étudier le latin, que cet enseignement n’est pas réservé à ceux qui ont déjà la culture à la maison, pour briser le plafond de verre du déterminisme social qui pèse sur lui !
De fait, les élèves ont tôt fait de comprendre que le latin est la seule discipline qu’ils peuvent débuter vraiment sur un pied d’égalité. Parce qu’il n’est pas une langue maternelle qu’on a pu entendre à la maison, héritée, comme la culture générale, du milieu familial, le latin est une langue uniquement scolaire et donc tout à fait égalitaire.
Je pourrais donner ici des dizaines d’exemples d’élèves auxquels le latin a permis de suivre une scolarité tout à fait honorable et même d’accéder au lycée alors que l’ensemble de l’équipe éducative ne donnait pas cher de leur parcours scolaire en début de collège, en comparant, consciemment ou non, l’élève au grand frère ou à la grande sœur qui l’avait précédé, quelques années auparavant. À ceux-là on peut également ajouter tous les élèves, capables de se remettre en question, qui reconnaissent leur erreur de ne pas s’être inscrits en début d’année et demandent à intégrer le cours de latin en cours de 5e, voire au début de l’année de 4e, et de plus en plus à l’entrée au lycée. Ces élèves, à la vocation tardive mais ferme, obtiennent en général très rapidement de bons résultats.
La force d’âme des latinistes en herbe se reconnaît également à leur capacité à faire fi des difficultés à la fois internes et externes à l’enseignement du latin. Pourtant, aujourd’hui bien plus encore qu’hier, les élèves communiquent entre eux, se font passer les informations, savent se mettre en garde. Tous les élèves sont au courant, avant même de franchir la porte du cours de latin, qu’il y aura forcément du par cœur, d’étranges tableaux que l’on appelle déclinaisons, un apprentissage systématique du vocabulaire et de la grammaire, des textes à lire et à traduire et des exposés à réaliser. Ils savent que cette option facultative demandera un travail supplémentaire, mais ils l’acceptent, pour la plupart, bien volontiers.
De même, les élèves finissent par se résigner aux horaires dissuasifs et peu efficaces auxquels sont placés les cours de latin : en tout début ou toute fin de demi-journée, entre midi et deux heures à la pause du déjeuner de l’établissement, parfois de cinq à six heures du soir, voire le mercredi après-midi ou le samedi matin, à des heures où ils pourraient s’adonner à des activités extrascolaires plus ludiques. Ils remarquent les regroupements de niveaux dans un même cours qui dégradent leurs conditions de travail. Ils ne sont pas dupes, enfin, du peu de reconnaissance institutionnelle de cette discipline, la seule pour laquelle manuels scolaires et professeurs remplaçants sont facultatifs. Et pourtant, ils s’inscrivent encore en cours de latin !