Ulysse, de retour à Ithaque, prend son mal en patience...
Homère, Odyssée, texte édité et traduit par Victor Bérard, CUF, 2012 (1924), XX, 1-20
Ce fut dans l'avant-pièce que le divin Ulysse vint alors se coucher : par terre et sur la peau fraîche encor de la vache, il entassa plusieurs toisons de ces brebis que, chaque jour, offraient aux dieux les Achéens.
Quand il y fut couché, Eurynomé sur lui vint jeter une cape. Mais, songeant à planter des maux aux prétendants, il restait éveillé.
De la salle, il voyait s'échapper les servantes, qui, chez les prétendants allant à leurs amours, s'excitaient l'une l'autre au plaisir et aux rires. Son coeur en sa poitrine en était soulevé ; son esprit et son coeur ne savaient que résoudre : allait-il se jeter sur elles, les tuer ? oui, pour le dernier soir, laisserait-il encor ces bandits les avoir ?...
Tout son coeur aboyait : la chienne, autour de ses petits chiens qui flageolent, aboie aux inconnus et s'apprête au combat ; ainsi jappait son âme, indignée de ces crimes ; mais, frappant sa poitrine, il gourmandait son coeur :
"Patience, mon coeur, c'est chiennerie bien pire qu'il fallut supporter le jour que le Cyclope, en fureur, dévorait mes braves compagnons ! ton audace avisée me tira de cet antre où je pensais mourir !"
C'est ainsi qu'il parlait, s'adressant à son coeur ; son âme résistait, ancrée dans l'endurance, pendant qu'il se roulait d'un côté, puis de l'autre.
Supplices de l'attente amoureuse : Orphée, incapable d'attendre un pas de plus pour revoir le visage d'Eurydice.
Ovide, Métamorphoses, texte établi par Georges Lafaye, émendé, présenté et traduit par Olivier Sers, Classiques en poche, 2009, X, 40-63
Comme il parlait, heurtant les cordes de sa lyre,
Les fantômes pleuraient, Tantale laissa fuir
L'onde, la roue d'Ixion s'arrêta, les vautours
Cessèrent de ronger les foies, les Danaïdes
D'emplir l'urne, Sisyphe à son rocher s'assit,
Et les Furies vaincues par son chant humectèrent
De leurs premiers sanglots, dit-on, leurs joues. La reine
Ni le roi des Enfers n'y peuvent résister,
Eurydice, appelée, quitte les ombres neuves,
Et revient à pas lents, gênée par sa blessure.
Pour la garder, Orphée devra ne pas tourner
Ses regards vers l'arrière avant d'être sorti
Des vallées de l'Averne, ou tout est annulé.
En grand silence ils ont grimpé un raidillon
Abrupt, obscur, plongé dans un brouillard épais,
Quand l'amoureux époux, près de faire surface,
Redoutant de la perdre, impatient de la voir,
Se retourne. Aussitôt retombée en arrière,
Lui tendant ses deux bras pour prendre et être prise,
La pauvre ne saisit que l'air qui se dérobe,
Et, mourant à nouveau sans un mot de reproche
(De quoi d'ailleurs, fors d'être aimée, se plaindrait-elle ?)
Dit un suprême adieu qu'il n'entend plus qu'à peine,
Puis retombe aux Enfers d'où elle était sortie.
La patience comme exercice philosophique
Aulu-Gelle, Nuits Attiques, texte établi et traduit par René Marache, CUF, 2002 (1967), II, 1
Parmi les travaux et les exercices volontaires par lesquels Socrate endurcissait son corps et l'aguerrissait contre la souffrance, voici une épreuve singulière qu'il s'imposait fréquemment. On dit que souvent il restait debout dans la même attitude, pendant tout le jour, et même pendant la nuit, depuis le lever du soleil jusqu'au retour de l'aurore, sans faire un seul mouvement, sans remuer les paupières, toujours à la même place, la tête et les yeux fixes, l'âme plongée dans des pensées profondes, et comme isolée de son corps par la méditation. Favorinus, nous parlant un jour de la patience de ce philosophe, nous en rapportait cette marque frappante, et disait que "souvent Socrate restait dans la même position, d'une aurore à l'autre, immobile et aussi droit qu'un tronc d'arbre".
Quo usque tandem abutere patientia nostra ? Des générations de latinistes ont éprouvé leur propre patience sur ces célèbres lignes de Cicéron...
Cicéron, Catilinaires, texte établi par Henri Bornecque et traduit par Étienne Bailly, CUF, 1985 (1926), I, 1-3
Jusques à quand, enfin, Catilina, abuseras-tu de notre patience ? Combien de temps encore ta fureur esquivera-t-elle nos coups ? Jusqu'où s'emportera ton audace sans frein ? Rien, ni les troupes qui, la nuit, occupent le Palatin, ni les rondes à travers la ville, ni l'anxiété du peuple, ni ce rassemblement de tous les bons citoyens, ni le choix de ce lieu, le plus sûr de tous, pour la convocation du Sénat, ni l'air ni l'expression de tous ceux qui sont ici, non, rien n'a pu te déconcerter ? Tes projets sont percés à jour ; ne le sens-tu pas ? Ta conspiration, connue de tous, est déjà maîtrisée ; ne le vois-tu pas ? Ce que tu as fait la nuit dernière, et aussi la nuit précédente, où tu as été, qui tu as convoqué, ce que tu as résolu, crois-tu qu'un seul d'entre nous l'ignore ? Ô temps ! ô moeurs ! Tout cela, le Sénat le sait, le consul le voit ; et cet homme vit encore ! Il vit ? ah ! que dis-je ? il vient au Sénat, il participe à la délibération publique, il marque et désigne de l'oeil ceux d'entre nous qu'on assassinera. Et nous, les hommes de coeur, nous croyons faire assez pour la chose publique, si nous nous gardons de sa rage et de ses poignards. Toi, Catilina, c'est à la mort, sur l'ordre du consul, que depuis longtemps il aurait fallu te mener ; sur toi devaient se concentrer les coups que tu nous prépares.
Patience et longueur de temps...
Ésope, Fables, texte établi et traduit par Émile Chambry, CUF, 2012 (1927), XXX
Le renard au ventre gonflé
Un renard affamé, ayant aperçu dans le creux d'un chêne des morceaux de pain et de viande que des bergers y avaient laissés, y pénétra et les mangea. Mais son ventre s'étant gonflé, il ne put sortir et se mit à gémir et à se lamenter. Un autre renard, qui passait par là, entendit ses plaintes et s'approchant lui en demanda la cause. Quand il sut ce qui était arrivé : "Eh bien ! dit-il, reste ici jusqu'à ce que tu redeviennes tel que tu étais en y entrant, et alors tu en sortiras facilement."
Cette fable montre que le temps résout les difficultés.