Dans l’entretien pacifique qu’il nous a accordé, Adrien Bresson a évoqué la « Gigantomachie » de Claudien comme source pour son volume De bello deorum, paru dans la collection « Les Petits Latins ». C’est, en effet, le seul poème en langue latine avec pour sujet central la lutte des dieux et des Géants qui nous soit parvenu, bien que fragmentaire. La Vie des Classiques vous propose aujourd’hui de lire les premiers vers de cet épyllion mythologique : la Terre (Gaïa), pour venger les Titans, lance sa progéniture, les Géants, à l’assaut du monde d’en haut. Elle les exhorte donc à combattre Jupiter, ce qui marque le début de cette lutte acharnée…
Terra parens quondam caelestibus inuida regnis
Titanumque simul crebros miserata dolores
omnia monstrifero conplebat Tartara fetu,
inuisum genitura nefas ; Phlegramque retexit
tanta prole tumens et in aethera protulit hostes.
Fit sonus ; erumpunt crebri necdumque creati
iam dextras in bella parant Superosque lacessunt
stridula uoluentes gemino uestigia lapsu.
Pallescunt subito stellae flectitque rubentes
Phoebus equos docuitque timor reuocare meatus.
Oceanum petit Arctos inocciduique Triones
occasum didicere pati. Tum feruida natos
talibus hortatur genetrix ad proelia dictis :
« O pubes domitura deos, quodcumque uidetis,
pugnando dabitur ; praestat uictoria mundum.
Sentiet ille meas tandem Saturnius iras,
cognoscet quid Terra potest, si uiribus ullis
uincor, si Cybele nobis meliora creauit.
Cur nullus Telluris honos ? Quae semper acerbis
me damnis urguere solet ? Quae forma nocendi
defuit ? Hinc uolucrem uiuo sub pectore pascit
infelix Scythica fixus conualle Prometheus ;
hinc Atlantis apex flammantia pondera fulcit
et per canitiem glacies asperrima durat.
Quid dicam Tityon, cuius sub uulture saeuo
uiscera nascuntur grauibus certantia poenis ?
Sed uos, o tandem ueniens exercitus ultor,
soluite Titanas uinclis, defendite matrem.
Sunt freta, sunt montes : nostris ne parcite membris.
In Iouis exitium telum non esse recuso.
Ite, precor, miscete polum, rescindite turres
sidereas. Rapiat fulmen sceptrumque Typhœus,
Enceladi iussis mare seruiat, alter habenas
Aurorae pro Sole regat, te Delphica laurus
stringat, Porphyrion, Cirrhaeaque templa teneto ».
His ubi consiliis animos elusit inanes,
iam credunt uicisse deos mediisque reuinctum
Neptunum traxisse fretis ; hic sternere Martem
cogitat, hic Phoebi laceros diuellere crines ;
hic sibi promittit Venerem speratque Dianae
coniugium castamque cupit uiolare Mineruam.
Un jour la Terre-mère, jalouse du règne céleste
Et aussi par pitié pour les douleurs répétées des Titans,
Emplissait le Tartare tout entier d’une monstrueuse portée
Pour engendrer un crime odieux ; elle ouvrit le Phlégra,
Fière de telle descendance, et la lança à l’assaut de l’éther.
Un bruit éclate : ils se précipitent en masse et, non encor créés,
Pour la guerre déjà ils préparent leur bras et harcèlent les dieux
En tournant leurs traces stridentes à la double coulée.
Pâlissent les étoiles aussitôt, Phébus détourne ses chevaux
Pourprés : la crainte lui apprit à rebrousser chemin.
L’Ourse atteint l’Océan et les Trions qui ne se couchent pas
Ont appris à subir de se coucher. Alors, la mère ardente
Exhorte ses fils au combat par de telles paroles :
« Ô jeunesse qui va vaincre les dieux, tout ce que vous voyez,
Le combat vous le donnera, et la victoire offre le monde.
Le Saturnien enfin sentira ma colère,
Il saura ce que peut la Terre, si une force peut me vaincre,
Si Cybèle a créé des êtres supérieurs à moi.
Pourquoi la Terre est sans honneur ? Laquelle a l’habitude
De toujours m’accabler de maux amers ? Quelle sorte de tort
M’a été épargné ? Ici, infortuné, attaché dans un vallon scythe
Prométhée repaît un oiseau au fond de ses entrailles vives.
Là, la pointe d’Atlas soutient des charges enflammées
Et le long de ses cheveux blancs durcit la glace la plus rude.
Pourquoi parler de Tityus, dont le foie renaissant,
Sous un cruel vautour, lutte contre un lourd châtiment ?
Mais vous, armée qui vient enfin pour les venger,
Libérez des fers les Titans, défendez votre mère.
Il y a les flots, il y a les monts : n’épargnez pas mes membres.
Pour perdre Jupiter, je ne refuse pas de servir d’arme.
Allez, je vous en prie, embrouillez le cosmos, forcez les tours
Du ciel. Que Typhée s’attribue et la foudre et le sceptre,
Que la mer cède aux ordres d’Encelade, qu’un autre pour Soleil
Mène les rênes de l’Aurore, que le laurier de Delphes,
Porphyrion, te ceigne : occupe donc les temples de Cirrha ».
Quand ces conseils se sont joués de leurs esprits légers,
Ils croient déjà avoir vaincu les dieux, avoir tiré du cœur
Des flots Neptune dans les chaînes ; l’un pense abattre Mars,
Un autre d’arracher, de lacérer les cheveux de Phébus ;
Cet autre se promet Vénus, espère épouser Diane
Ou bien aspire au viol de la chaste Minerve.
Claudien, « La Gigantomachie », in Petits Poèmes, 53, v. 1-41
C.U.F., Les Belles Lettres
ed. et trad. Jean-Louis Charlet