[AVENT 2021] Jour 5 - Lucrèce

5 décembre 2021
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Touchez, goûtez, voyez, entendez, quelle sera la surprise classique de la journée ?
Du 1er au 24 décembre, retrouvez chaque jour un extrait des Classiques, à lire et/ou à écouter !

IL FAUT INTERPRÉTER LES CRIS DES BÊTES

Lucrèce ne se contente pas de reprendre l’idée selon laquelle les animaux ont un langage. Il propose une analyse de ce langage, et même une tentative de déchiffrement, en rapportant la variété des sons émis non seulement aux espèces qui les produisent, mais surtout aux circonstances vitales, aux affections ressenties et aux situations dans lesquelles ils sont proférés. Cette théorie du sens et du langage vaut aussi bien pour les hommes.

Les troupeaux privés de la parole, et même les espèces sauvages, poussent des cris différents suivant que la crainte, la douleur ou la joie les pénètre, comme il est aisé de s’en convaincre par des exemples familiers. Ainsi quand la colère fait gronder sourdement les chiens molosses, et, retroussant leurs larges et molles babines, met à nu leurs dents dures, les sons dont nous menace la rage qui fronce leur mufle sont tout autres que les aboiements sonores dont ensuite ils emplissent l’espace. Et lorsque d’une langue caressante ils entreprennent de lécher leurs petits, ou qu’ils les agacent à coups de pattes, et que, menaçant de mordre et retenant leurs crocs, ils feignent délicatement de vouloir les dévorer, les jappements qu’ils mêlent à leurs caresses ne ressemblent guère aux hurlements qu’ils poussent laissés seuls à la garde de la maison, ou aux plaintes qu’ils font entendre, l’échine basse et se dérobant aux coups. Enfin ne nous semble-t-il point entendre des hennissements différents, quand au milieu des cavales s’emporte le fougueux étalon, dans la fleur de son âge, éperonné par l’Amour, son cavalier ailé, et que les naseaux dilatés il frémit prêt à la lutte, ou quand toute autre émotion secoue ses membres et le fait hennir ? Enfin la gent ailée, les oiseaux divers, les éperviers, les orfraies, les plongeons qui dans les flots salés de la mer vont chercher leur nourriture et leur vie, ont, en autre temps, des cris tout autres que lorsqu’ils luttent pour leur subsistance et que leurs proies se défendent. D’autres encore font varier avec les aspects du temps les accents de leur voix rauque ; telles les corneilles vivaces et les bandes de corbeaux, suivant que, dit-on, elles réclament les eaux de la pluie, ou qu’elles annoncent encore les vents et la tempête.

Lucrèce, De la nature, V, 1059-1086,
C.U.F., Les Belles Lettres,
trad. Alfred Ernout

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