Voici le catalogue des grands buveurs antiques, avec le premier d’entre eux, Alexandre (356 av. J.-C.-323 av. J.-C.). (texte à tretrouver dans A la table des Anciens de Laure de Chantal)
Buveurs passionnés furent, à ce qu’on dit, les suivants: Denys, le tyran sicilien, Nysaios, lui aussi un tyran, Apollocrate, fils du tyran Denys, Hipparinos, également fils de Denys, Timolaos de Thèbes, Charidémos d’Oréos, Arcadion, Erasixénos, Alcétas de Macédoine et Diotimos d’Athènes. Ce dernier était surnommé l’Entonnoir: en effet, il plaçait un entonnoir dans sa bouche et absorbait sans interruption le vin versé en lui. Cléomène de Sparte était non seulement un grand buveur, à ce qu’on dit, mais on lui attribue également ce vice scythe: boire le vin pur. On dit également du poète Ion de Chios qu’il buvait demanière immodérée.
Ce sont de beaux exploits d’Alexandre que la bataille du Granique, celle d’Issos, celle d’Arbèles, Darius vaincu et les Perses soumis aux Macédoniens. C’est un bel exploit aussi que toute l’Asie ait été défaite, et en particulier que les Indiens eux aussi aient obéi à Alexandre. Le comportement suivant d’Alexandre n’est en revanche pas beau. On raconte que le cinquième jour du mois de Dios, il but chez Eumaios et que le sixième il dormit, cuvant son vin. De cette journée il ne vit qu’un court instant, le temps de se lever pour délibérer avec les commandants au sujet de la marche du lendemain et dire qu’elle aurait lieu dès le matin tôt. Le septième jour, il se rendit à un banquet chez Perdiccas, but à nouveau, et le huitième jour, il dormit. Le quinzième jour de ce même mois, il le passa également à boire. Le lendemain, il fit ce qu’il est habituel de faire à l’issue d’une beuverie. Le vingt-septième jour, il participa à un repas chez Bagoas (la demeure de Bagoas était à dix stades du palais). Après deux jours de festin, il dormit encore une fois pendant une journée. De deux choses
l’une: ou Alexandre se fit du tort à lui-même en buvant pendant tous ces jours, ou ceux qui ont écrit cela mentent.
Elien, Histoire variée, II, 41 et III, 23
Il n’y a pas que les grands hommes qui boivent: Lééna, en charge de veiller sur la demeure et la jeune fille qu’elle abrite, oublie sa mission au premier effluve alcoolisé.(texte à tretrouver dans A la table des Anciens de Laure de Chantal)
LÉÉNA (sortant de chez Cappadox). – Un bouquet de vin vieux a frappé mes narines. Son attrait ravissant me pousse jusqu’ici à travers les ténèbres. Où qu’il puisse être, il est près de moi… Bravo, je le tiens. Salut, âme de ma vie, charme de Bacchus! que je suis amoureuse de ta vénérable vieillesse! Tous les parfums du monde ne sont que sentine auprès de ton odeur. Pour moi, tu es essence de myrrhe, tu es cinnamome, tu es rose, tu es safran et tu es cannelle, tu es fenugrec. Là où l’on te répand, là je voudrais que soit mon tombeau. Mais puisque jusqu’ici ton odeur seule a flatté ma narine, accorde à son tour à mon gosier sa part de plaisir. Odeur, je n’ai que faire de toi: où est le vase qui te contient? C’est toi, oui, c’est toi que je brûle de toucher; je veux épancher en moi ta liqueur à longs traits, ô cher broc! (Phédrome s’éloigne en emportant le broc pour l’attirer). Mais il est parti de ce côté; suivons-le à la trace.
PHÉDROME (bas à Palinure). – Elle a soif, la vieille.
PALINURE.– Oui, un peu. De combien a-t-elle soif?
PHÉDROME. – Elle est modeste; elle tient un quartaut.
PALINURE. – Par Pollux! à t’entendre la vendange de cette année ne suffirait pas à celte seule vieille. Elle aurait fait un fameux chien de chasse; quelle finesse de flair!
LÉÉNA. – À qui est cette voix qui parle au loin, je vous prie?
PHÉDROME (bas à Palinure). – Il est temps, je pense, d’interpeller la vieille. Abordons-la. (Haut, à la vieille) Reviens, et regarde de mon côté, Lééna.
LÉÉNA. – Quel est celui qui me commande?
PHÉDROME. – Le maître du vin, l’aimable Bacchus, qui pour soulager ta pituite, humecter la sécheresse, et te réveiller dans ton demi-sommeil, t’apporte à boire et vient apaiser ta soif.
LÉÉNA. – À quelle distance est-il?
PHÉDROME. – Regarde cette lumière.
LÉÉNA. – Allonge donc le pas vers moi, par pitié!
PHÉDROME (s’approchant). – Salut!
LÉÉNA. – Qui me parle de salut, quand la soif me dessèche?
PHÉDROME. – Mais, tu vas boire.
LÉÉNA. – C’est bien long.
PHÉDROME (lui donnant le broc). – Tiens, prends, aimable vieille.
LÉÉNA. – Salut, prunelle de mes yeux!
PALINURE (à la vieille). – Allons, dépêche-toi de verser cela dans le gouffre; vite, vite, nettoie ton égout.
PHÉDROME. – Tais-toi; je ne veux pas qu’on lui dise du mal.
PALINURE. – Alors, je lui en ferai, plutôt.
LÉÉNA (se tournant vers l’autel de Vénus). – Vénus, du peu qu’on me donne, je te donnerai un petit peu, bien à contre-cœur. (Elle fait mine de répandre une libation) Toi, tous les amoureux, lorsqu’ils boivent à la santé de leurs maîtresses ne manquent pas de t’offrir de leur vin; mais, moi, pareil héritage ne m’échoit pas souvent.
Plaute, Curculio, 98-117