Le Livre XXX de l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien est consacré à la magie et et à la pharmacopée. En voici un extrait qui rappelle le pouvoir des sectes...
Le premier, d’après le résultat de mes recherches, qui ait écrit sur ce sujet et dont les ouvrages subsistent, est Osthanes. Il avait accompagné Xerxès dans la guerre faite aux Grecs par ce prince ; il dissémina pour ainsi dire les germes de cet art monstrueux, et en infecta tous les lieux qu’il parcourut. Les auteurs exacts placent peu de temps avant lui un autre Zoroastre de Proconnèse. C’est cet Osthanes, cela est certain, qui inspira aux peuples de la Grèce, non l’amour, mais la rage de cette science. Toutefois je remarque qu’anciennement et presque toujours on chercha dans cette science le plus haut point de l’éclat et de la gloire littéraires ; du moins Pythagore, Empédocle, Démocrite, Platon, pour s’y instruire, traversèrent les mers, exilés à vrai dire plutôt que voyageurs. Revenus dans leur patrie, ils vantèrent la magie, ils la tinrent en arcane. Démocrite a fait connaître Apollobèches de Coptos et Dardanus de Phénicie. Il alla chercher les écrits de Dardanus dans le tombeau de ce personnage : quant aux siens, ils ont été composés d’après la doctrine de ces deux hommes. Que tout cela ait été reçu par d’autres et se soit conservé dans la mémoire, c’est ce qui m’étonne le plus au monde. Ici tout est si peu croyable et si révoltant, que ceux qui donnent leur approbation aux autres écrits de Démocrite regardent comme apocryphes les livres magiques qui portent son nom. Mais il n’est que trop vrai : c’est lui qui a surtout infatué les esprits de cette attrayante chimère. Il faut aussi remarquer, comme une circonstance singulière, que les deux arts, médecine et magie, se soient développés simultanément, la médecine par Hippocrate, la magie par Démocrite, au temps de la guerre du Péloponèse, répondant à l’an 300 de Rome. Il est une autre secte magique formée par Moïse, Jamnès, et Jotapes, tous trois Juifs, mais postérieurs de plusieurs milliers d’années à Zoroastre. Quant à la secte de l’île de Chypre, elle est beaucoup plus récente. Du temps d’Alexandre le Grand la magie reçut un surcroît non petit d’influence par le second Osthanes, qui eut l’honneur d’accompagner ce prince, et qui, ce dont personne ne doute, parcourut presque toute la terre.
III. Il existe certainement aussi chez les nations italiennes des traces de la magie, par exemple dans nos lois des Douze Tables et d’autres monuments, comme je l’ai fait voir dans un livre précédent (XXVIII, 4). Ce n’est que l’an 657 de Rome, sous le consulat de Cn. Cornélius Lentulus et de P. Licinius Crassus, qu’il fut défendu par un sénatus-consulte d’immoler un homme (XXVIII, 3, 3) ; ce qui prouve que jusqu’à cette époque on faisait de ces horribles sacrifices.
IV. Les Gaules ont été aussi possédées par la magie, et même jusqu’à notre temps ; car c’est l’empereur Tibère qui a supprimé leurs druides, et cette tourbe de prophètes et de médecins. Mais à quoi bon rapporter ces prohibitions au sujet d’un art qui a franchi l’Océan, et qui a pénétré jusqu’où cesse la nature ? La Bretagne cultive aujourd’hui même l’art magique avec foi et de telles cérémonies, qu’elle semblerait l’avoir transmis aux Perses. Ainsi tous les peuples, quoiqu’en discorde et inconnus les uns aux autres, se sont accordés sur ce point. On ne saurait donc suffisamment estimer l’obligation due aux Romains pour avoir supprimé ces monstruosités dans lesquelles tuer un homme était faire acte de religion, et manger de la chair humaine une pratique salutaire.
V. (II.) Comme l’enseignait Osthanes, il y a plusieurs espèces de magie : la magie emploie l’eau, les boules, l’air, les étoiles, les lampes, les bassins, les haches, et beaucoup d’autres moyens ; toutes pratiques qui promettent la divination, et en outre les colloques avec les ombres et les enfers. De notre temps, l’empereur Néron a eu la preuve que ces choses n’étaient que vanité et chimères. En effet, non moins que pour les chants de la cithare et de la tragédie, il se passionna pour la magie : quel excitant que la plus haute des fortunes humaines avec les vices profonds de l’âme ! Avant tout il désira de commander aux dieux, et rien chez lui ne fut plus magnanime. Jamais personne ne prodigua plus d’encouragements à un art ; pour cela rien ne lui manquait, ni richesses, ni pouvoir, ni intelligence pour apprendre, ni le reste, dans un naturel qui fatigua le monde. C’est une preuve immense, indubitable, de la fausseté de cet art, que Néron y ait renoncé. Et plût au ciel qu’il eût consulté sur ses soupçons les enfers et tous les dieux qu’on voudra, plutôt que d’avoir remis son odieuse inquisition aux prostituées et aux suppôts de mauvais lieux ! Il n’y a point de superstition, quelque barbare et farouche qu’on la suppose, qui n’eût été plus douce que les pensées qui l’agitaient. Par là, et d’une façon plus sanglante, il peupla d’ombres nos demeures.
VI. Les magiciens ont certaines défaites : ainsi ils disent que les dieux n’obéissent 1 pas ou ne se laissent pas voir à ceux qui ont des taches de rousseur. Serait-ce là l’obstacle qui arrêta Néron ? Du côté du corps, rien ne lui manquait. Quant au reste, il lui était loisible de choisir les jours convenables, facile d’avoir des brebis complètement noires, agréable même d’immoler des hommes. Le mage Tiridates était venu le trouver à Rome, apportant dans sa personne le triomphe d’Arménie, et, à cause de cela, foulant les provinces sur son passage. Il n’avait pas voulu aller par mer, parce que les mages regardent comme interdit de cracher dans la mer, et de souiller cet élément par quelques-unes des excrétions nécessaires à l’humanité. Il avait avec lui amené des mages, il avait initié Néron à des festins magiques ; et cependant l’empereur, qui lui donnait un royaume, ne put recevoir de lui l’art de la magie. Soyons donc bien persuadés que c’est une chose détestable, impuissante, vaine, ayant pourtant quelques secrets trop réels ; mais alors ce n’est plus l’art de la magie, c’est l’art des empoisonnements. Qu’on se figure les mensonges des anciens mages, puisque le grammairien Apion, que nous- même avons vu dans notre jeunesse, a écrit que la plante cynocéphalie (XXV, 80), appelée en Égypte osirites, est propre à la divination et bonne contre tous les maléfices, mais que si on l’arrache tout entière, celui qui l’arrache meurt aussitôt ; que lui-même avait évoqué des ombres pour interroger Homère sur sa patrie et sur ses parents : toutefois il n’osait pas publier ce qu’il prétendait lui avoir été répondu par le poète.
Pline, Histoire naturelle, livre XXX