Traversez le mois de décembre avec les miracles des Anciens et des Modernes !
Du 1er au 24 décembre, découvrez chaque jour un extrait miraculeux d’un auteur antique ou un texte original d’un philologue moderne.
William Bouguereau, Philomèle et Progné, 1861
Jʼaimais beaucoup ce tableau quand jʼétais petite. Je voulais être la blonde mais je ne pouvais pas, malheureusement, la couleur de mes cheveux mʼobligeait à être la brune. Je me consolais en remarquant quʼelle semblait plus mûre, avec son geste protecteur du bras droit et son regard affectueux. Quand jʼai appris qui étaient Philomèle et Procné, jʼai été surprise, car je ne voyais pas le rapport entre ce double portrait plein de tendresse et lʼhistoire horrible des deux sœurs telle quʼon la lit dans les ouvrages de mythologie, tissée de crimes abominables dont elles sont victimes et coupables, viol, mutilation, infanticide, cannibalisme. La brune Procné, fille du roi dʼAthènes Pandion, a été donnée en mariage au roi de Thrace, Térée, dont elle a eu un fils, Itys. Après quelques années, Procné voulut revoir sa jeune sœur, Philomèle, et Térée alla la chercher. Pendant le voyage, Térée viola la jeune fille ; pour lʼempêcher de dénoncer son crime, il lui trancha la langue puis lʼenferma dans une étable avant de revenir annoncer sa mort à son épouse. Muette et isolée, Philomèle tissa une tapisserie qui révélait ce quʼelle avait subi et réussit à la faire parvenir à sa sœur. Pour se venger de Térée, Procné poignarda leur fils et lui servit sa chair au cours dʼun repas ; quand il fut rassasié, Philomèle et Procné lui montrèrent la tête dʼItys. Fou de colère et de chagrin, Térée se lança à leur poursuite pour les tuer. Les dieux les transformèrent tous les trois en oiseaux : Térée en huppe, Procné en rossignol, Philomèle en hirondelle. Lʼhistoire me fascinait et me déconcertait. Lequel, de Térée et Procné, était le plus criminel ? Les dieux les avaient-ils punis ou non, finalement, en les faisant devenir oiseaux ? Pourquoi punir Philomèle qui nʼavait rien fait ? Avaient-ils sauvé les sœurs, au contraire, et dans le même mouvement eu pitié du père cannibale malgré lui ? Après tout, nʼétait-ce pas mieux dʼêtre un oiseau ? Ces questionnements étaient bien insuffisants pour appréhender la réalité complexe dʼun mythe, mais peut-être cette histoire des deux belles princesses violentées et violentes qui ne meurent ni ne survivent peut-elle aider à se forger une idée de la complexité inhérente à la vie et aux émotions humaines.