Traversez le mois de décembre avec les miracles des Anciens et des Modernes !
Du 1er au 24 décembre, découvrez chaque jour un extrait miraculeux d’un auteur antique ou un texte original d’un philologue moderne.
Et si nous revivions l’âge d’or ?
Lorsque Saturne fut chassé de l'Olympe par son fils Jupiter, il vint se réfugier dans le Latium. Ce fut l’âge d’or célébré par tant de poètes, à l’instar d’Ovide1 qui le décrit sine lege (« sans loi »), sine vindice (« sans juge »). Les hommes furent égaux et en paix, et la terre les nourrit à profusion sine semine (« sans semence »). D’ailleurs la faucille que porte Saturne sur ses représentations le place parmi les divinités agraires.
L'âge d'or est censé revivre pendant les Saturnales, période où même les esclaves peuvent agir en hommes libres. Pour gommer les écarts, la toge tombe, les esclaves portent le pileus (bonnet des affranchis et symbole de liberté). Trêve des hostilités, vacance de la justice, vacances scolaires, amnistie de prisonniers, liberté d’expression, repas, jeux, cadeaux échangés, la libertas decembris2 selon Horace, c’est ce qui fait dire à Catulle : Saturnalibus, optimo dierum !3 (« les Saturnales, le meilleur des jours ! »). Et bien sûr, le dieu Saturne lui-même est fêté. Tite-Live4 raconte : ad aedem Saturni Romae immolatum est, lectisterniumque imperatum […] et convivium publicum (« on fit un sacrifice, à Rome, au temple de Saturne, on ordonna un lectisterne […] et un banquet public »).
Les Saturnales sont aussi les jours où les liens de laine qui entourent la statue de Saturne sont retirés. En effet en temps normal le dieu a les pieds attachés. C'est même passé en proverbe : inde proverbium ductum, deos laneos pedes habere (« de là est venu le proverbe selon lequel les dieux ont les pieds de laine »), précise Macrobe5. Pétrone6 semble expliquer sa signification quand il conclut une anecdote en ces termes : itaque dii pedes lanatos habent, quia nos religiosi non sumus. Agri jacent. (« voici pourquoi les dieux ont les pieds couverts de laine : à cause de notre impiété. Nos champs sont stériles. »). Enlever ces liens, c’est leur permettre d’agir.
La fête qui à l’origine ne durait qu’un seul jour, le 17 décembre, a pu durer (bien) plus longtemps, au grand dam de Sénèque7 qui y voit un grand désordre. Mais ce petit miracle ne dure pas, c’est pour cela qu’il est toléré, que les maîtres acceptent l’inversion des rôles : tout va rentrer dans l’ordre…
Noël aurait remplacé les Saturnales. Peut-être les natalophobes ont-ils une conscience trop forte de cette comédie pour y prendre part ? Quant aux autres, laissons-les croire au miracle des fêtes de fin d’année.
Illustration d’après un bas-relief romain du IIe siècle ap. J.-C. représentant Saturne tenant une faucille, détail d’un autel dédié au dieu Malakbêl et aux dieux de Palmyra, musée du Capitole, Rome
Julie Wojciechowski
1 Les Métamorphoses, I
2 Satires 2, 7, 4
3 Carmina, 14
4 Ab Urbe Condita, 22, 1
5 Saturnales, 1, 8, 5
6 Satyricon, 44
7 Lettres à Lucilius, XVIII